ARRÊT DE LA COUR (neuvième chambre)

7 mars 2024 (*)

« Pourvoi – Dumping – Importations de mélanges d’urée et de nitrate d’ammonium originaires de Russie – Droit antidumping définitif – Ouverture d’une enquête – Éléments de preuve suffisants »

Dans l’affaire C‑725/22 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 24 novembre 2022,

AO Nevinnomysskiy Azot, établie à Nevinnomyssk (Russie),

AO Novomoskovskaya Aktsionernaya Kompania NAK « Azot », établie à Novomoskovsk (Russie),

représentées initialement par Mes T. Martin-Brieu, A. de Moncuit, avocats, et Me P. Vander Schueren, advocate, puis par Mes E. Gergondet, N. Mizulin, A. de Moncuit, A. Nosowicz, avocats, et Me P. Vander Schueren, advocate,

parties requérantes,

les autres parties à la procédure étant :

Commission européenne, représentée par Mme P. Němečková, MM. G. Luengo et J. Zieliński, en qualité d’agents,

partie défenderesse en première instance,

Fertilizers Europe, établie à Bruxelles (Belgique), représentée par Mes M. Hommé et B. O’Connor, avocats,

partie intervenante en première instance,

LA COUR (neuvième chambre),

composée de Mme O. Spineanu-Matei, présidente de chambre, M. S. Rodin (rapporteur) et Mme L. S. Rossi, juges,

avocat général : Mme L. Medina,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

vu la décision prise, l’avocate générale entendue, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        Par leur pourvoi, AO Nevinnomysskiy Azot et AO Novomoskovskaya Aktsionernaya Kompania NAK « Azot » demandent l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 14 septembre 2022, Nevinnomysskiy Azot et NAK « Azot »/Commission (T‑865/19, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2022:559), par lequel celui-ci a rejeté leur recours visant à l’annulation du règlement d’exécution (UE) 2019/1688 de la Commission, du 8 octobre 2019, instituant un droit antidumping définitif et portant perception définitive du droit provisoire institué sur les importations de mélanges d’urée et de nitrate d’ammonium originaires de Russie, de Trinité-et-Tobago et des États-Unis d’Amérique (JO 2019, L 258, p. 21, ci-après le « règlement d’exécution litigieux »).

 Le cadre juridique

 Le droit international

2        Par la décision 94/800/CE du Conseil, du 22 décembre 1994, relative à la conclusion au nom de la Communauté européenne, pour ce qui concerne les matières relevant de ses compétences, des accords des négociations multilatérales du cycle de l’Uruguay (1986-1994) (JO 1994, L 336, p. 1), le Conseil de l’Union européenne a approuvé l’accord instituant l’Organisation mondiale du commerce (OMC), signé à Marrakech le 15 avril 1994, ainsi que les accords figurant aux annexes 1 à 3 de cet accord, au nombre desquels figure l’accord sur la mise en œuvre de l’article VI de l’accord général sur les tarifs douaniers et le commerce de 1994 (JO 1994, L 336, p. 103, ci-après l’« accord antidumping »).

3        L’article 2.3 de l’accord antidumping énonce :

« Lorsqu’il n’y a pas de prix à l’exportation, ou lorsqu’il apparaît aux autorités concernées que l’on ne peut se fonder sur le prix à l’exportation du fait de l’existence d’une association ou d’un arrangement de compensation entre l’exportateur et l’importateur ou une tierce partie, le prix à l’exportation pourra être construit sur la base du prix auquel les produits importés sont revendus pour la première fois à un acheteur indépendant, ou, si les produits ne sont pas revendus à un acheteur indépendant ou ne sont pas revendus dans l’état où ils ont été importés, sur toute base raisonnable que les autorités pourront déterminer. »

4        L’article 2.4 de cet accord se lit comme suit :

« II sera procédé à une comparaison équitable entre le prix d’exportation et la valeur normale. Elle sera faite au même niveau commercial, qui sera normalement le stade sortie usine, et pour des ventes effectuées à des dates aussi voisines que possible. Il sera dûment tenu compte dans chaque cas, selon ses particularités, des différences affectant la comparabilité des prix, y compris des différences dans les conditions de vente, dans la taxation, dans les niveaux commerciaux, dans les quantités et les caractéristiques physiques, et de toutes les autres différences dont il est aussi démontré qu’elles affectent la comparabilité des prix. Dans les cas visés au paragraphe 3, il devrait être tenu compte également des frais, droits et taxes compris, intervenus entre l’importation et la revente, ainsi que des bénéfices. Si, dans ces cas, la comparabilité des prix a été affectée, les autorités établiront la valeur normale à un niveau commercial équivalant au niveau commercial du prix à l’exportation construit, ou tiendront dûment compte des éléments que le présent paragraphe permet de prendre en considération. Les autorités indiqueront aux parties en question quels renseignements sont nécessaires pour assurer une comparaison équitable, et la charge de la preuve qu’elles imposeront à ces parties ne sera pas déraisonnable. »

5        L’article 5.3 dudit accord prévoit :

« Les autorités examineront l’exactitude et l’adéquation des éléments de preuve fournis dans la demande afin de déterminer s’il y a des éléments de preuve suffisants pour justifier l’ouverture d’une enquête. »

 Le droit de l’Union

6        L’article 2 du règlement (UE) 2016/1036 du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2016, relatif à la défense contre les importations qui font l’objet d’un dumping de la part de pays non membres de l’Union européenne (JO 2016, L 176, p. 21), tel que modifié par le règlement (UE) 2018/825 du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 2018 (JO 2018, L 143, p. 1) (ci-après le « règlement de base »), intitulé « Détermination de l’existence d’un dumping », dispose, à son paragraphe 9 et à son paragraphe 10, sous k) :

« 9.      Lorsqu’il n’y a pas de prix à l’exportation ou lorsqu’il apparaît que le prix à l’exportation n’est pas fiable en raison de l’existence d’une association ou d’un arrangement de compensation entre l’exportateur et l’importateur ou un tiers, le prix à l’exportation peut être construit sur la base du prix auquel les produits importés sont revendus pour la première fois à un acheteur indépendant ou, si les produits ne sont pas revendus à un acheteur indépendant ou ne sont pas revendus dans l’état où ils ont été importés, sur toute autre base raisonnable.

Dans de tels cas, des ajustements sont opérés pour tenir compte de tous les frais, y compris les droits et les taxes, intervenus entre l’importation et la revente et d’une marge bénéficiaire, afin d’établir un prix à l’exportation fiable au niveau frontière de l’Union [européenne].

Les coûts au titre desquels un ajustement est opéré incluent ceux normalement supportés par un importateur, mais payés par toute partie ayant ses activités à l’intérieur ou à l’extérieur de l’Union et paraissant être associée à ou avoir conclu un arrangement de compensation avec l’importateur ou l’exportateur, et notamment les éléments suivants : transport habituel, assurance, manutention, chargement et coûts accessoires, droits de douane, droits antidumping et autres taxes payables dans le pays importateur du fait de l’importation ou de la vente des marchandises, ainsi qu’une marge raisonnable pour les frais de vente, les dépenses administratives et les autres frais généraux et le bénéfice.

10.      Il est procédé à une comparaison équitable entre le prix à l’exportation et la valeur normale. Cette comparaison est faite, au même stade commercial, pour des ventes effectuées à des dates aussi proches que possible et en tenant dûment compte d’autres différences qui affectent la comparabilité des prix. Dans les cas où la valeur normale et le prix à l’exportation établis ne peuvent être ainsi comparés, il sera tenu compte dans chaque cas, sous forme d’ajustements, des différences constatées dans les facteurs dont il est revendiqué et démontré qu’ils affectent les prix et, partant, leur comparabilité. On évitera de répéter les ajustements, en particulier lorsqu’il s’agit de différences relatives aux rabais, aux remises, aux quantités ou aux stades de commercialisation. Lorsque les conditions spécifiées sont réunies, les facteurs au titre desquels des ajustements peuvent être opérés sont les suivants :

[...]

k)      Autres facteurs

Un ajustement peut également être opéré au titre de différences relatives à d’autres facteurs non prévues aux points a) à j) s’il est démontré que ces différences affectent la comparabilité des prix, comme l’exige le présent paragraphe, et, en particulier, si les acheteurs paient systématiquement des prix différents sur le marché intérieur à cause d’elles. »

7        L’article 5 de ce règlement, intitulé « Ouverture de la procédure », prévoit, à ses paragraphes 1 à 3, 6 et 9 :

« 1.      Sous réserve des dispositions du paragraphe 6, une enquête visant à déterminer l’existence, le degré et l’effet de tout dumping allégué est ouverte sur plainte présentée par écrit par toute personne physique ou morale ou toute association n’ayant pas la personnalité juridique, agissant au nom de l’industrie de l’Union.

[...]

2.      Une plainte au sens du paragraphe 1 contient des éléments de preuve quant à l’existence d’un dumping, d’un préjudice et d’un lien de causalité entre les importations dont il est allégué qu’elles font l’objet d’un dumping et le préjudice allégué. La plainte contient les renseignements qui peuvent être raisonnablement à la disposition du plaignant sur les points suivants :

[...]

3.      La Commission [européenne] examine, dans la mesure du possible, l’exactitude et l’adéquation des éléments de preuve fournis dans la plainte afin de déterminer s’il y a des éléments de preuve suffisants pour justifier l’ouverture d’une enquête.

[...]

6.      Si, dans des circonstances spéciales, la Commission décide d’ouvrir une enquête sans être saisie d’une plainte présentée par écrit à cette fin par une industrie de l’Union ou en son nom, elle n’y procède que si elle est en possession d’éléments de preuve suffisants de l’existence d’un dumping, d’un préjudice et d’un lien de causalité au sens du paragraphe 2 pour justifier l’ouverture d’une enquête. [...]

[...]

9.      Lorsqu’il apparaît qu’il existe des éléments de preuve suffisants pour justifier l’ouverture d’une procédure, la Commission ouvre cette procédure dans un délai de quarante-cinq jours à compter de la date du dépôt de la plainte et en annonce l’ouverture dans le Journal officiel de l’Union européenne. Lorsque les éléments de preuve sont insuffisants, le plaignant en est avisé dans les quarante-cinq jours suivant la date à laquelle la plainte a été déposée auprès de la Commission. [...] »

8        L’article 6 du règlement de base, intitulé « Enquête », dispose, à son paragraphe 1 :

« À la suite de l’ouverture de la procédure, la Commission, en coopération avec les États membres, commence l’enquête au niveau de l’Union. Cette enquête porte simultanément sur le dumping et le préjudice.

Aux fins d’une détermination représentative, une période d’enquête est choisie qui, en cas de dumping, couvre normalement une période d’une durée minimale de six mois immédiatement antérieure à l’ouverture de la procédure.

Les renseignements relatifs à une période postérieure à la période d’enquête ne sont pas, normalement, pris en compte. »

9        L’article 7 de ce règlement, intitulé « Mesures provisoires », énonce, à son paragraphe 2 bis :

« Lorsqu’elle examine si un droit inférieur à la marge de dumping suffirait à éliminer le préjudice, la Commission détermine s’il existe des distorsions sur les matières premières quant au produit concerné.

Aux fins du présent paragraphe, les distorsions sur les matières premières consistent dans les mesures suivantes : les systèmes de double prix, les taxes à l’exportation, les surtaxes à l’exportation, les contingents d’exportation, les interdictions d’exportation, les redevances à l’exportation, les régimes de licences, les prix minimaux à l’exportation, l’annulation ou la réduction du remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), les restrictions au point de dédouanement pour les exportateurs, les listes d’exportateurs habilités, les obligations relatives au marché intérieur et les droits d’exploitation exclusive de mines si le prix d’une matière première est sensiblement inférieur aux prix pratiqués sur les marchés internationaux représentatifs.

La Commission est habilitée à adopter des actes délégués conformément à l’article 23 bis pour modifier le présent règlement en ajoutant de nouvelles distorsions sur les matières premières à la liste visée au deuxième alinéa du présent paragraphe si l’inventaire des restrictions à l’exportation de matières premières industrielles établi par l’[Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE)], ou toute autre base de données de l’OCDE qui le remplace, identifie d’autres types de mesures.

L’enquête porte sur toute distorsion affectant les matières premières recensée au deuxième alinéa du présent paragraphe, pour l’existence de laquelle la Commission dispose d’éléments de preuve suffisants conformément à l’article 5.

Aux fins du présent règlement, les matières premières, transformées ou non, y compris l’énergie, pour lesquelles une distorsion est découverte doivent représenter au moins 17 % du coût de production du produit concerné. Aux fins de ce calcul, un prix non faussé de la matière première tel qu’il est établi sur les marchés internationaux représentatifs est utilisé. »

10      Le règlement d’exécution litigieux a été adopté à la suite de l’ouverture, le 13 août 2018, par la Commission d’une enquête antidumping concernant les importations dans l’Union de mélanges d’urée et de nitrate d’ammonium (ci-après les « UAN ») originaires de Russie, de Trinité-et-Tobago et des États-Unis d’Amérique.

11      Le point 1.1, 2), de ce règlement énonce :

« La Commission a ouvert l’enquête à la suite d’une plainte déposée le 29 juin 2018 par Fertilizers Europe (ci-après le “plaignant”) au nom de producteurs représentant plus de 50 % de la production totale de l’Union [d’UAN]. La plainte contenait suffisamment d’éléments de preuve de l’existence d’un dumping et d’un préjudice important en résultant pour justifier l’ouverture de l’enquête. »

 Les antécédents du litige

12      Les antécédents du litige figurent aux points 2 à 41 de l’arrêt attaqué et peuvent, pour les besoins du présent arrêt, être résumés de la manière suivante.

13      À titre liminaire, il y a lieu de préciser que les requérantes font partie du groupe Eurochem et commercialisent des UAN sur le marché russe par l’intermédiaire d’EuroChem Trading RUS LLC. Les ventes à l’exportation d’UAN dans l’Union sont réalisées par l’intermédiaire d’un exportateur établi en Suisse qui revend des UAN à EuroChem Agro GmbH, société établie en Allemagne, laquelle revend elle-même ces UAN soit à des clients indépendants établis dans l’Union, soit à des négociants liés en Bulgarie et en Espagne en vue d’une revente ultérieure.

14      Le 13 août 2018, à la suite d’une plainte, la Commission a publié un avis d’ouverture d’une procédure antidumping concernant les importations de mélanges d’urée et de nitrate d’ammonium originaires de Russie, de Trinité-et-Tobago et des États-Unis d’Amérique (JO 2018, C 284, p. 9). Le produit faisant l’objet de l’enquête sur les pratiques de dumping en cause et sur le préjudice à l’industrie de l’Union causé par celles-ci correspondait à des UAN en solution aqueuse ou ammoniacale pouvant contenir des additifs, relevant du code NC 3102 80 00 de la nomenclature combinée figurant à l’annexe I du règlement (CEE) no 2658/87 du Conseil, du 23 juillet 1987, relatif à la nomenclature tarifaire et statistique et au tarif douanier commun (JO 1987, L 256, p. 1), tel que modifié par le règlement d’exécution (UE) 2019/1776 de la Commission, du 22 octobre 2019 (JO 2019, L 280, p. 1) (ci-après le « produit concerné »).

15      Cette enquête portait sur la période allant du 1er juillet 2017 au 30 juin 2018. L’examen des tendances pertinentes aux fins de l’appréciation du préjudice de l’industrie de l’Union couvrait la période allant du 1er janvier 2015 au 30 juin 2018.

16      Les parties intéressées ont été invitées à participer à ladite enquête. Plusieurs d’entre elles, dont les requérantes, ont présenté des observations écrites.

17      Le 20 mars 2019, la Commission a adopté le règlement d’exécution (UE) 2019/455, soumettant à enregistrement les importations de mélanges d’urée et de nitrate d’ammonium originaires de Russie, de Trinité-et-Tobago et des États-Unis d’Amérique (JO 2019, L 79, p. 9).

18      Le lendemain, un document d’information reprenant les conclusions provisoires de la Commission a été communiqué aux requérantes.

19      Le 10 avril 2019, la Commission a adopté le règlement d’exécution (UE) 2019/576, instituant un droit antidumping provisoire sur les importations de mélanges d’urée et de nitrate d’ammonium originaires de Russie, de Trinité-et-Tobago et des États-Unis d’Amérique (JO 2019, L 100, p. 7).

20      Le 12 juillet 2019, la Commission a informé les requérantes des faits et des considérations essentielles sur la base desquels elle envisageait d’instituer un droit antidumping définitif sur les importations du produit concerné en provenance, notamment, de Russie.

21      Le 8 octobre 2019, la Commission a adopté le règlement d’exécution litigieux.

22      Aux termes de ce règlement d’exécution, le droit antidumping définitif institué par la Commission prend la forme d’un montant fixe, compris entre 22,24 et 42,47 euros par tonne, applicable aux importations du produit concerné dans l’Union fabriqué par différentes sociétés énumérées dans ledit règlement d’exécution. Le montant de ce droit définitif a été fixé pour les requérantes à 27,77 euros par tonne de produit concerné.

 La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

23      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 18 décembre 2019, les requérantes ont introduit un recours visant à l’annulation du règlement d’exécution litigieux.

24      À l’appui de leur recours devant le Tribunal, les requérantes ont soulevé quatre moyens. Le premier moyen était tiré d’une violation de l’article 2, paragraphes 1, 9 et 10, du règlement de base et d’erreurs manifestes d’appréciation dans la détermination du prix à l’exportation et de la valeur normale ainsi que d’une violation de l’article 2, paragraphes 3 à 5, de ce règlement en ce qui concerne la détermination des « opérations commerciales normales », en référence à des coûts de production ajustés. Le deuxième moyen était tiré d’une violation de l’article 3, paragraphes 2, 3 et 6, du règlement de base, du droit à une bonne administration et du principe de non-discrimination ainsi que d’erreurs manifestes d’appréciation en ce qui concerne l’analyse des effets produits par les importations faisant l’objet d’un dumping sur les prix du marché de l’Union pour des produits similaires. Le troisième moyen était tiré d’une violation de l’article 3, paragraphe 7, du règlement de base, lu en combinaison avec l’article 9, paragraphe 4, de celui-ci, et du droit à une bonne administration ainsi que d’erreurs manifestes d’appréciation. Le quatrième moyen était tiré d’une violation de l’article 7, paragraphe 2 bis, du règlement de base, lu en combinaison avec l’article 9, paragraphes 4 et 5, et l’article 18, paragraphes 1, 4 et 5, de celui-ci, du droit à une bonne administration et du principe d’égalité de traitement ainsi que d’erreurs manifestes d’appréciation en ce qui concerne le refus d’appliquer la règle du droit moindre aux importations des requérantes.

25      Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a écarté ces quatre moyens et, partant, a rejeté le recours introduit par les requérantes dans son intégralité.

26      En particulier, s’agissant du premier moyen, le Tribunal a, en répondant à la première branche de ce moyen, analysé l’article 2, paragraphe 9, du règlement de base et a conclu que cet article n’excluait pas que des ajustements fussent opérés pour les frais intervenus avant l’importation du produit concerné, dans la mesure où ces frais sont normalement supportés par l’importateur. Dans le cadre de son analyse de la deuxième branche dudit moyen, le Tribunal a constaté que, dans la mesure où EuroChem Agro, lorsque cette société liée, établie en Allemagne, n’intervenait pas comme importateur, prenait en charge les coûts de transport de ce produit jusqu’à la frontière de l’Union, lesquels sont des coûts normalement supportés par l’importateur, au sens de l’article 2, paragraphe 9, du règlement de base, un ajustement au titre de cette disposition était justifié. Dans le cadre de l’examen de la troisième branche du premier moyen, le Tribunal a jugé que, dans la mesure où les frais intervenus entre l’importation et la revente dudit produit, y compris les frais de vente, les dépenses administratives et les autres frais généraux (ci-après les « frais VAG »), ainsi que les bénéfices de l’exportateur lié établi en Suisse visé au point 13 du présent arrêt et d’EuroChem Agro, même pour des activités ayant eu lieu avant le passage de la frontière de l’Union de celui-ci, étaient des frais liés à la vente finale au sein de l’Union, ceux-ci pouvaient faire l’objet d’un ajustement au titre de l’article 2, paragraphe 9, du règlement de base.

27      En répondant à la quatrième branche de ce moyen, le Tribunal a écarté comme étant irrecevable la quatrième branche dudit moyen, considérant que les requérantes faisaient une « référence générale » à un « autre document » aux fins de leur argumentation et qu’elles n’avaient pas étayé le postulat sur lequel reposait cette argumentation. En tout état de cause, ladite argumentation devait, selon le Tribunal, être écartée comme étant non fondée. Dans le cadre de son analyse de la cinquième branche du même moyen, le Tribunal a écarté l’argumentation des requérantes selon laquelle la Commission n’aurait pas dû ajuster leurs coûts de production en remplaçant les coûts du gaz naturel qu’elles avaient effectivement supportés par les prix à la frontière entre l’Allemagne et la République tchèque, ajustés au transport vers la Russie.

28      En ce qui concerne le quatrième moyen, le Tribunal a considéré, en premier lieu, que les requérantes n’avaient fourni aucun élément de preuve de nature à démontrer que la Commission avait violé le droit à une bonne administration. En deuxième lieu, le Tribunal a écarté l’argumentation des requérantes selon laquelle les conditions permettant de ne pas appliquer la règle du droit moindre au titre de l’article 7, paragraphe 2 bis, du règlement de base n’étaient pas satisfaites. En troisième lieu, le Tribunal a écarté l’argumentation des requérantes selon laquelle l’article 9, paragraphe 5, du règlement de base exige que la règle du droit moindre, au titre de l’article 7, paragraphe 2 bis, de celui-ci, soit appliquée individuellement pour chaque producteur-exportateur, sous peine de violation de cette dernière disposition et du principe de non-discrimination.

29      En quatrième lieu, le Tribunal a constaté que la Commission n’avait pas commis d’erreur en considérant que les importations dans l’Union provenant de Trinité-et-Tobago et des États-Unis ne se trouvaient pas dans une situation comparable à celles provenant de Russie et que, partant, cette institution n’avait pas violé l’article 9, paragraphe 5, du règlement de base. En cinquième lieu, le Tribunal a écarté l’argumentation des requérantes tirée de la violation de l’article 18, paragraphes 1 et 4, du règlement de base.

 Les conclusions des parties au pourvoi

30      Les requérantes demandent à la Cour :

–        d’annuler l’arrêt attaqué ;

–        d’annuler le règlement d’exécution litigieux en ce qui concerne les parties visées par les première à quatrième branches du premier moyen soulevé devant le Tribunal, ainsi que par les première et quatrième branches du quatrième moyen soulevé devant celui-ci, « dans la mesure où l’état de la procédure le permet » ;

–        à titre subsidiaire, de renvoyer l’affaire devant le Tribunal ;

–        de condamner la Commission aux dépens.

31      La Commission, soutenue par Fertilizers Europe, demande à la Cour :

–        de rejeter le pourvoi et

–        de condamner les requérantes aux dépens.

 Sur la demande d’ouverture de la phase orale de la procédure et de présentation de conclusions

32      À la suite de la notification de la décision de la Cour de juger l’affaire sans tenir audience et sans présentation de conclusions, les requérantes ont demandé, par un acte déposé au greffe de la Cour le 19 octobre 2023, à ce que soit ordonnée l’ouverture de la phase orale de la procédure, en application de l’article 83 du règlement de procédure de la Cour, et que des « conclusions ciblées » sur le premier moyen de pourvoi soient présentées.

33      Conformément à l’article 83 de son règlement de procédure, la Cour peut, à tout moment, l’avocat général entendu, ordonner l’ouverture ou la réouverture de la phase orale de la procédure, notamment si elle considère qu’elle est insuffisamment éclairée, ou lorsqu’une partie a soumis, après la clôture de cette phase, un fait nouveau de nature à exercer une influence décisive sur la décision de la Cour, ou encore lorsque l’affaire doit être tranchée sur la base d’un argument qui n’a pas été débattu entre les intéressés visés à l’article 23 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne.

34      Toutefois, en l’espèce, la Cour estime qu’elle dispose de tous les éléments nécessaires pour statuer et que l’affaire ne doit pas être tranchée sur la base d’arguments qui n’auraient pas été débattus entre les intéressés. Enfin, la demande d’ouverture de la phase orale de la procédure visée au point 32 du présent arrêt ne révèle aucun fait nouveau de nature à pouvoir exercer une influence décisive sur la décision que la Cour est appelée à rendre dans cette affaire.

35      En outre, s’agissant de la demande de présentation de « conclusions ciblées », il convient de rappeler que, en vertu de l’article 252, second alinéa, TFUE, l’avocat général présente publiquement, en toute impartialité et en toute indépendance, des conclusions motivées sur les affaires qui, conformément au statut de la Cour de justice de l’Union européenne, requièrent son intervention. Or, il suffit de relever que les parties à la procédure ne disposent d’aucun droit de demander que des conclusions soient présentées.

36      Dans ces conditions, la Cour considère, l’avocat général entendu, qu’il n’y a pas lieu d’ordonner, en l’espèce, l’ouverture de la phase orale de la procédure ou la présentation de « conclusions ciblées ».

 Sur le pourvoi

37      À l’appui de leur pourvoi, les requérantes soulèvent cinq moyens, tirés, le premier, d’une erreur de droit commise par le Tribunal dans l’interprétation de l’article 2, paragraphe 9, du règlement de base, le deuxième, d’une erreur de droit et d’une erreur dans l’interprétation de l’article 2, paragraphe 10, de ce règlement, le troisième, d’une erreur de droit dans l’interprétation de l’article 5, paragraphes 1, 3, 6 et 9, et de l’article 7, paragraphe 2 bis, dudit règlement, le quatrième, d’une omission par le Tribunal d’examiner les éléments de preuve, d’une dénaturation de ceux-ci et d’une violation d’obligation de motivation et, le cinquième, d’une dénaturation des éléments de preuve, d’une erreur de droit et d’une violation de l’obligation de motivation.

 Sur le premier moyen

 Argumentation des parties

38      Par le premier moyen de pourvoi, les requérantes font valoir qu’il ressort de l’article 2, paragraphe 9, du règlement de base que, pour la construction du prix à l’exportation au titre de cette disposition, la Commission ne peut pas déduire du prix de revente au premier acheteur indépendant sur le marché de l’Union les coûts et les bénéfices qui ne sont pas intervenus entre l’importation du produit concerné et la vente de ce dernier à cet acheteur.

39      À cet égard, les requérantes estiment qu’il ressort du rapport du groupe spécial de l’OMC établi dans l’affaire « États-Unis – Mesures antidumping visant les tôles d’acier inoxydable en rouleaux et les feuilles et bandes d’acier inoxydable en provenance de Corée », en date du 22 décembre 2000 (WT/DS 179/R) et adopté par l’Organe de règlement des différends (ORD) de l’OMC le 1er février 2001 (ci-après le « rapport OMC “Acier inoxydable” »), que, si l’expression « intervenus entre l’importation et la revente », au sens de l’article 2, paragraphe 9, du règlement de base, ne doit pas être comprise comme portant strictement sur la période comprise entre « l’importation et la revente » du produit concerné, il n’en reste pas moins que les coûts et les bénéfices intervenus lors de la période visée par cette expression devraient se rapporter à la « revente », et non pas à l’« importation » de celui-ci. Partant, selon les requérantes, l’article 2.4 de l’accord antidumping et l’article 2, paragraphe 9, du règlement de base doivent être interprétés en ce sens qu’ils permettent l’ajustement du prix de revente au premier acheteur indépendant pour prendre en considération les coûts et les bénéfices intervenus dans le cadre de la « revente ». En revanche, ces dispositions ne pourraient être interprétées comme permettant, pour l’ajustement, de prendre en considération les coûts et les bénéfices supportés ou réalisés dans le cadre de l’« importation ».

40      Les requérantes font dès lors valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit lorsque celui-ci a constaté, au point 98 de l’arrêt attaqué, qu’il ne ressortait pas de l’article 2, paragraphe 9, du règlement de base que seuls les coûts entre l’arrivée du produit concerné à la frontière de l’Union et la première revente de celui-ci à un acheteur indépendant devaient être pris en considération aux fins de la détermination du prix à l’exportation au titre de cette disposition. Ainsi, le Tribunal aurait écarté la première branche du premier moyen du recours sur la base d’une analyse incorrecte de l’objet et du but de cette disposition, énoncée aux points 97 à 101 de l’arrêt attaqué.

41      En outre, ce serait sur la base de ces considérations erronées que le Tribunal a conclu, aux points 105 à 107 de l’arrêt attaqué, que les requérantes n’avaient pas démontré que les coûts et les bénéfices en cause ne pouvaient être considérés comme des coûts normalement supportés par un importateur et, en conséquence, a écarté également les deuxième et troisième branches du premier moyen du recours, aux points 116 et 117, et 126 et 125 de l’arrêt attaqué.

42      Les requérantes font valoir que, ce faisant, le Tribunal a commis trois erreurs de droit.

43      En premier lieu, le Tribunal aurait considéré erronément que, par l’adoption de l’article 2, paragraphe 9, du règlement de base, l’intention du législateur de l’Union avait été d’inclure les coûts qui, bien qu’ils soient supportés par des sociétés qui n’importent pas le produit concerné, sont normalement associés à l’importation de celui-ci parmi ceux pour lesquels un ajustement peut être opéré, dans la mesure où l’objectif de garantir la fiabilité des prix à l’exportation pourrait être compromis par des transactions entre des sociétés d’un même groupe qui sont susceptibles de modifier les prix à l’exportation.

44      Or, les requérantes font valoir que, à supposer même que ce législateur ait eu une telle intention, ce que par ailleurs le Tribunal n’aurait pas prouvé, leur argumentation devant cette juridiction était que, indépendamment du fait de savoir si ces coûts avaient été supportés par un importateur ou par une autre partie, l’article 2, paragraphe 9, du règlement de base prévoit que l’ajustement ne peut être opéré que pour les coûts et les bénéfices intervenus « entre l’importation et la revente » du produit concerné. En constatant que cet article 2, paragraphe 9, autorise que l’ajustement prenne en considération tous les coûts et les bénéfices intragroupes liés à la vente finale du produit concerné sur le marché de l’Union, le Tribunal aurait donc commis une erreur de droit.

45      Par ailleurs, les requérantes soutiennent que le rapport OMC « Acier inoxydable » implique que, lorsque la Commission ajuste le prix de revente au premier acheteur indépendant pour prendre en considération les coûts supportés et les bénéfices réalisés entre l’importation et la revente du produit concerné, elle est autorisée à déduire non pas tous les coûts et les bénéfices intragroupes liés à la vente finale de celui-ci sur le marché de l’Union, mais seulement ceux qui se rapportent à l’opération de revente de ce produit, par opposition à l’opération d’importation de ce dernier. À cet égard, les requérantes contestent le raisonnement du Tribunal, figurant aux points 98 et 99 de l’arrêt attaqué, selon lequel l’effet utile de l’article 2, paragraphe 9, du règlement de base serait compromis si l’interprétation qu’elles suggéraient de cette disposition était admise.

46      Ainsi, le Tribunal aurait considéré de manière erronée que, dans certaines situations, les coûts supportés par des intermédiaires avant l’importation du produit concerné faisaient partie du prix à l’exportation réellement payé, de telle sorte que l’interprétation suggérée par les requérantes impliquait que les producteurs-exportateurs pourraient avoir recours à plusieurs intermédiaires liés, établis en dehors de l’Union, afin de « gonfler » artificiellement les prix à l’exportation. Or, les requérantes soutiennent que c’est non pas l’article 2, paragraphe 9, du règlement de base, mais l’article 2, paragraphe 10, de ce règlement qui concerne les ajustements opérés pour la prise en considération des coûts et des bénéfices intervenus en dehors de l’Union et qui ne sont pas liés à la revente. Elles en concluent que le Tribunal a ainsi élargi illégalement, en méconnaissance de son objectif, le champ d’application de l’article 2, paragraphe 9, du règlement de base.

47      En outre, les requérantes font valoir que le Tribunal a étayé son interprétation de l’article 2, paragraphe 9, deuxième alinéa, du règlement de base par référence au troisième alinéa de cette disposition, lequel mentionne les « coûts normalement supportés par un importateur ». Or, selon les requérantes, cette référence ne saurait justifier l’élargissement du champ d’application de l’article 2, paragraphe 9, deuxième alinéa, du règlement de base. En outre, une telle interprétation extensive ne serait pas nécessaire aux fins de garantir l’effet utile de cette disposition et ne trouverait aucun fondement juridique dans le libellé clair de celle-ci. En effet, les requérantes affirment que, si ce troisième alinéa permet d’opérer un ajustement pour la prise en considération des coûts normalement supportés par un importateur, il n’en reste pas moins que de tels coûts doivent être intervenus « entre l’importation et la revente », ainsi que cela ressortirait du rapport OMC « Acier inoxydable ».

48      En deuxième lieu, les requérantes font valoir que le Tribunal s’est fondé à tort, au point 102 de l’arrêt attaqué, sur la jurisprudence citée dans l’arrêt du 17 mars 2015, RFA International/Commission (T‑466/12, EU:T:2015:151). D’une part, les requérantes soutiennent que cette jurisprudence concerne l’application d’une réglementation antidumping de base applicable avant l’entrée en vigueur de l’accord antidumping et, d’autre part, qu’elle est issue, en tout état de cause, d’arrêts prononcés avant l’interprétation de l’article 2.4 de l’accord antidumping résultant du rapport OMC « Acier inoxydable ».

49      Or, il ressortirait de la jurisprudence de la Cour que, dans le cadre de l’interprétation de l’accord antidumping, les juridictions de l’Union doivent tenir compte des interprétations adoptées par l’ORD de l’OMC. Elles en concluent que, plutôt que de se fonder sur la jurisprudence antérieure à l’accord antidumping, le Tribunal aurait dû se fonder sur le rapport OMC « Acier inoxydable ».

50      En troisième lieu, les requérantes soutiennent que le Tribunal a commis une erreur de droit en affirmant, au point 96 de l’arrêt attaqué, que l’article 2, paragraphe 9, troisième alinéa, du règlement de base vise tant les coûts normalement supportés par un importateur que ceux qui pourraient être supportés par toute partie ayant ses activités à l’intérieur ou à l’extérieur de l’Union. Selon les requérantes, aucun ajustement distinct ne peut être opéré pour prendre en considération les coûts qui pourraient être supportés par toute partie ayant ses activités à l’intérieur ou à l’extérieur de l’Union qui ne seraient pas des coûts normalement supportés par un importateur.

51      La Commission, soutenue par Fertilizers Europe, conteste l’argumentation invoquée par les requérantes et fait valoir que le premier moyen de pourvoi doit être écarté.

 Appréciation de la Cour

52      Il y a lieu de relever, en premier lieu, que le Tribunal a répondu, aux points 94 à 96 de l’arrêt attaqué, à l’argument des requérantes selon lequel l’article 2, paragraphe 9, du règlement de base s’appliquerait uniquement aux coûts supportés par des sociétés agissant en qualité d’importateur.

53      En substance, le Tribunal a considéré, tout d’abord, au point 95 de l’arrêt attaqué, lu à la lumière du point 97 de celui-ci, que l’article 2, paragraphe 9, troisième alinéa, de ce règlement précise que les coûts au titre desquels un ajustement doit être opéré incluent également ceux supportés par une partie qui est établie à l’extérieur de l’Union, dès lors qu’elle paraît être associée à l’importateur ou à l’exportateur et que ces coûts devaient être normalement supportés par un importateur, de telle sorte que cette disposition ne saurait être limitée au seul ajustement des coûts normalement supportés par les importateurs et intervenus entre le moment du passage de la frontière de l’Union par le produit concerné et la première revente de ce dernier à un acheteur indépendant, sous peine de porter atteinte à l’effet utile de cette disposition.

54      Ensuite, au point 96 de cet arrêt, le Tribunal a constaté qu’il ressortait, d’une part, de l’article 2, paragraphe 9, premier alinéa, du règlement de base que cette disposition vise l’importateur ou un tiers, de telle sorte qu’elle comprend nécessairement des entités qui ne procèdent pas à l’importation proprement dite des produits concernés. D’autre part, le Tribunal a constaté que l’article 2, paragraphe 9, troisième alinéa, de ce règlement visait tant les coûts normalement supportés par un importateur que ceux qui pourraient être supportés par toute partie ayant ses activités à l’intérieur ou à l’extérieur de l’Union, dès lors que, comme il l’a relevé au point 95 dudit arrêt, lu à la lumière du point 97 de celui-ci, elle paraît être associée et que ces coûts devaient être normalement supportés par un importateur. Il en a conclu que l’argumentation des requérantes selon laquelle l’article 2, paragraphe 9, dudit règlement ne visait que les coûts supportés par les importateurs devait être écartée.

55      En deuxième lieu, le Tribunal a analysé, aux points 97 à 101 de l’arrêt attaqué, l’objectif et les effets de l’article 2, paragraphe 9, du règlement de base. À cet égard, le Tribunal a considéré que, par cette disposition, le législateur de l’Union avait entendu inclure les coûts des sociétés qui n’importent pas le produit concerné, mais qui supportent des coûts normalement associés à cette importation, ce qui permettait de respecter les relations contractuelles des opérateurs économiques tout en garantissant que ladite disposition produise ses effets à l’égard des pratiques commerciales par lesquelles des coûts normalement supportés par un importateur sont attribués à un tiers. Le Tribunal a observé, en substance, que l’interprétation suggérée par les requérantes pourrait aboutir à des résultats incompatibles avec l’objectif de la même disposition, qui est de garantir la fiabilité des prix à l’exportation, dans la mesure où les producteurs-exportateurs pourraient avoir recours à plusieurs intermédiaires liés, établis en dehors de l’Union, afin d’augmenter artificiellement les prix à l’exportation.

56      En troisième lieu, aux points 102 et 103 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a étayé ses conclusions en se référant à l’arrêt du 17 mars 2015, RFA International/Commission (T‑466/12, EU:T:2015:151).

57      L’argumentation des requérantes n’est pas susceptible de remettre en cause le raisonnement suivi par le Tribunal.

58      À cet égard, en premier lieu, s’agissant de l’argument tiré du rapport OMC « Acier inoxydable », il convient de rappeler que, compte tenu de leur nature et de leur économie, l’accord instituant l’OMC ainsi que les accords figurant aux annexes 1 à 4 de cet accord ne figurent pas en principe parmi les normes au regard desquelles la légalité des actes des institutions de l’Union peut être contrôlée (arrêt du 28 septembre 2023, Changmao Biochemical Engineering/Commission, C‑123/21 P, EU:C:2023:708, point 71 et jurisprudence citée).

59      Ce n’est que dans deux situations exceptionnelles, ayant trait à la volonté du législateur de l’Union de limiter lui-même sa marge de manœuvre dans l’application des règles de l’OMC, que la Cour a admis qu’il appartient au juge de l’Union, le cas échéant, de contrôler la légalité d’un acte de l’Union et des actes pris pour son application au regard de ces accords ou d’une décision de l’ORD de l’OMC constatant le non-respect desdits accords (arrêt du 28 septembre 2023, Changmao Biochemical Engineering/Commission, C‑123/21 P, EU:C:2023:708, point 74 et jurisprudence citée).

60      Il s’agit, d’une part, de la situation où l’Union a entendu donner exécution à une obligation particulière assumée dans le cadre des mêmes accords et, d’autre part, de celle où l’acte de l’Union en cause renvoie expressément à des dispositions précises de ces derniers (arrêt du 28 septembre 2023, Changmao Biochemical Engineering/Commission, C‑123/21 P, EU:C:2023:708, point 75 et jurisprudence citée).

61      En l’espèce, il convient de relever que le rapport OMC « Acier inoxydable », sur lequel les requérantes se fondent, concerne l’interprétation de l’article 2.4 de l’accord antidumping, lequel porte sur la « comparaison équitable entre le prix à l’exportation et la valeur normale ».

62      Or, par l’article 2, paragraphe 9, du règlement de base, qui porte non pas sur cette comparaison, mais sur la construction du prix à l’exportation, le législateur de l’Union n’a pas entendu donner exécution aux obligations particulières que comporte l’article 2.4 de l’accord antidumping. Par ailleurs, l’article 2, paragraphe 9, du règlement de base n’opère aucun renvoi à l’article 2.4 de l’accord antidumping.

63      Partant, il convient de constater que le rapport OMC « Acier inoxydable » ne saurait être utilement invoqué pour remettre en cause le raisonnement du Tribunal exposé au point 95 de l’arrêt attaqué, au terme duquel celui-ci a écarté l’argumentation des requérantes selon laquelle seuls les coûts supportés entre l’arrivée du produit concerné à la frontière de l’Union et la première revente de celui-ci à un acheteur indépendant peuvent être pris en considération aux fins de la construction du prix à l’exportation.

64      En deuxième lieu, les considérations énoncées aux points 99 à 101 de l’arrêt attaqué doivent être approuvées.

65      En effet, d’une part, le but de l’article 2, paragraphe 9, du règlement de base est, conformément au premier alinéa de cette disposition, de pouvoir prendre en considération un prix à l’exportation au niveau frontière de l’Union construit, notamment, lorsqu’il apparaît que le prix à l’exportation effectivement payé n’est pas fiable en raison, notamment, de l’existence d’une association entre l’exportateur et l’importateur ou un tiers, afin de disposer, à cet égard, d’une valeur fiable aux fins de la comparaison équitable entre le prix à l’exportation et la valeur normale du produit similaire sur le marché intérieur du pays exportateur.

66      D’autre part, ce but ne serait pas atteint s’il suffisait qu’un producteur-exportateur structure ses ventes de façon à faire intervenir, préalablement à l’importation du produit concerné dans l’Union, un intermédiaire qui lui est associé et qui prendrait en charge des coûts normalement supportés par un importateur, de manière à majorer le prix à l’exportation effectivement payé par ce dernier. En effet, faute de pouvoir prendre en considération de tels coûts par des ajustements, au motif qu’ils ont été exposés avant l’importation, il serait impossible de construire un prix à l’exportation fiable dans un tel cas de figure.

67      À cet égard, c’est également à bon droit que le Tribunal a constaté en substance, aux points 95 et 96 de l’arrêt attaqué, lus à la lumière du point 97 de celui-ci, qu’il ressort du libellé même de l’article 2, paragraphe 9, troisième alinéa, du règlement de base que les coûts pour lesquels un ajustement doit être opéré au titre de ce paragraphe incluent ceux supportés par une partie qui est établie à l’extérieur de l’Union, dès lors qu’elle paraît être associée à l’importateur ou à l’exportateur et que ces coûts devaient être normalement supportés par un importateur.

68      En troisième lieu, il convient d’écarter l’argumentation des requérantes selon laquelle le Tribunal aurait fondé ses conclusions sur une jurisprudence relative à une réglementation antérieure à l’accord antidumping, citée indirectement, notamment, au point 102 de l’arrêt attaqué.

69      À cet égard, il suffit de relever que, d’une part, ainsi qu’il résulte de sa formulation, ce point de l’arrêt attaqué contient une considération surabondante. D’autre part, dans l’arrêt du 17 mars 2015, RFA International/Commission (T‑466/12, EU:T:2015:151), mentionné audit point, le Tribunal s’est prononcé sur l’interprétation de l’article 2, paragraphe 9, du règlement (CE) no 1225/2009 du Conseil, du 30 novembre 2009, relatif à la défense contre les importations qui font l’objet d’un dumping de la part de pays non membres de la Communauté européenne (JO 2009, L 343, p. 51).

70      Partant, dans la mesure où l’arrêt du 17 mars 2015, RFA International/Commission (T‑466/12, EU:T:2015:151), cité dans l’arrêt attaqué, porte sur l’interprétation d’un acte adopté en 2009, soit bien après l’entrée en vigueur de l’accord antidumping, il ne saurait être considéré que le Tribunal s’est fondé sur une jurisprudence antérieure à cet accord.

71      En quatrième lieu, il convient de relever que l’argumentation des requérantes selon laquelle le Tribunal a constaté que l’article 2, paragraphe 9, du règlement de base visait tant les coûts normalement supportés par un importateur que ceux qui pourraient être supportés par toute partie ayant ses activités à l’intérieur ou à l’extérieur de l’Union, repose sur une lecture erronée de l’arrêt attaqué.

72      Ainsi, comme il est relevé aux points 53 à 55 du présent arrêt, le Tribunal a effectué une lecture systématique de l’article 2, paragraphe 9, du règlement de base et est parvenu à la conclusion que cette disposition ne visait pas uniquement les coûts supportés par les importateurs, mais, également, les coûts qui pourraient être supportés par toute partie liée ayant ses activités à l’intérieur ou à l’extérieur de l’Union pour autant qu’il s’agit de coûts normalement supportés par un importateur.

73      Ce faisant, le Tribunal n’a pas élargi la portée de l’article 2, paragraphe 9, du règlement de base, qu’il a correctement interprété, et a donc écarté à bon droit l’argument des requérantes selon lequel cette disposition concernait uniquement les importateurs, à l’exclusion des sociétés liées qui peuvent prendre en charge des coûts normalement supportés par l’importateur.

74      Il s’ensuit que le premier moyen de pourvoi doit être écarté comme étant non fondé.

 Sur le deuxième moyen

 Argumentation des parties

75      Par le deuxième moyen de pourvoi, les requérantes font valoir que le Tribunal a, aux points 136 à 144 de l’arrêt attaqué, d’une part, erronément écarté la quatrième branche du premier moyen du recours comme étant irrecevable et en tout état de cause non fondée, et, d’autre part, commis une erreur de droit en interprétant l’article 2, paragraphe 10, du règlement de base.

76      Les requérantes exposent que la quatrième branche du premier moyen soulevée devant le Tribunal était tirée de la violation par la Commission de l’article 2, paragraphes 1 et 10, du règlement de base, en ce que cette dernière avait rejeté leur demande visant à obtenir l’ajustement de la valeur normale pour prendre en considération les frais VAG et les bénéfices d’EuroChem Trading RUS, sur la base de la prémisse erronée selon laquelle il existait une « entité économique unique » constituée des requérantes et d’EuroChem Trading RUS.

77      D’une part, les requérantes font valoir qu’il ressort du point 136 de l’arrêt attaqué que, en soutenant que les fonctions des sociétés commerciales de l’Union et celles d’EuroChem Trading RUS étaient les mêmes, elles ont soulevé, dans le corps de la requête, un argument essentiel en droit, étayé par des références à des annexes qui démontraient la similitude de ces fonctions.

78      Ainsi, le Tribunal aurait méconnu la jurisprudence lorsqu’il a constaté, au point 139 de l’arrêt attaqué, que l’argumentation des requérantes n’était pas suffisamment claire et précise pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et au Tribunal de statuer sur le recours. Par ailleurs, en procédant de la sorte, le Tribunal aurait violé le droit des requérantes d’accéder à un tribunal et le droit de celles-ci à un recours effectif, garantis à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

79      D’autre part, les requérantes considèrent que le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant, aux points 143 et 144 de l’arrêt attaqué, que leur argumentation était, en tout état de cause, manifestement non fondée. À cet égard, les requérantes soutiennent que, premièrement, le Tribunal a outrepassé ainsi les limites de son contrôle juridictionnel en fondant son appréciation sur les justifications de la Commission qui ne figurent pas dans le règlement d’exécution litigieux.

80      Deuxièmement, les requérantes font valoir que le Tribunal n’a pas répondu à leur argumentation de fond, selon laquelle la notion d’« entité économique unique » ne relevait pas de l’application de l’article 2, paragraphe 1, du règlement de base et que, en tout état de cause, l’existence d’une telle « entité économique unique » n’empêchait pas un ajustement au titre de l’article 2, paragraphe 10, de ce règlement.

81      Troisièmement, les requérantes soutiennent que le Tribunal a dénaturé les éléments de preuve en concluant, au point 144 de l’arrêt attaqué, qu’elles n’avaient pas étayé leur argumentation. En effet, les requérantes auraient démontré que les frais VAG et les bénéfices des sociétés commerciales de l’Union et d’EuroChem Trading RUS étaient des facteurs qui affectaient la comparabilité des prix sur le marché intérieur et des prix à l’exportation, de telle sorte que la Commission aurait dû déduire du prix à l’exportation ces frais et ces bénéfices pour cette dernière société.

82      Pour le surplus, les requérantes considèrent que la Cour peut, après avoir accueilli leur deuxième moyen de pourvoi, statuer sur la quatrième branche du premier moyen soulevé devant le Tribunal, l’affaire étant en état d’être jugée à cet égard.

83      La Commission, soutenue par Fertilizers Europe, conteste l’argumentation invoquée par les requérantes et fait valoir que le deuxième moyen de pourvoi doit être écarté.

 Appréciation de la Cour

84      Il y a lieu de relever que, aux points 136 et 137 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a constaté que les requérantes avaient simplement affirmé qu’elles avaient démontré que les frais VAG et les bénéfices des sociétés commerciales de l’Union et d’EuroChem Trading RUS, qui sont liés aux mêmes fonctions de vente, étaient des facteurs qui affectaient le prix sur le marché intérieur et les prix à l’exportation et, par conséquent, leur comparabilité. Les requérantes ont étayé cette affirmation par une référence aux « [c]ommentaires sur le règlement provisoire, pages 22–23 et annexe 8, annexe A.8 ».

85      Ainsi, le Tribunal a considéré, au point 138 de l’arrêt attaqué, que les requérantes avaient eu recours à une « référence générale » à un « autre document » que la requête aux fins de leur argumentation et n’étayaient pas le postulat sur lequel reposait celle-ci.

86      Le Tribunal a rappelé, aux points 139 et 140 de l’arrêt attaqué, que l’article 76, sous d), du règlement de procédure du Tribunal prévoit qu’une requête doit contenir un exposé sommaire des moyens, citant la jurisprudence constante relative aux critères permettant de déterminer si cet exposé doit être considéré comme étant suffisamment clair et précis.

87      Estimant que tel n’était pas le cas en l’occurrence, le Tribunal a écarté, au point 141 de l’arrêt attaqué, la quatrième branche du premier moyen du recours comme étant irrecevable.

88      À titre surabondant, le Tribunal a considéré, aux points 142 à 145 de l’arrêt attaqué, que les requérantes n’avaient pas étayé les raisons pour lesquelles un ajustement au titre de l’article 2, paragraphe 10, sous k), du règlement de base eût été justifié.

89      À cet égard, il convient de rappeler qu’il est nécessaire, pour qu’un recours devant le Tribunal soit recevable, que les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels ce recours se fonde ressortent, à tout le moins sommairement, mais d’une façon cohérente et compréhensible, du texte de la requête elle-même. S’il est vrai que le corps de celle-ci peut être étayé et complété, sur des points spécifiques, par des renvois à des passages déterminés de pièces qui y sont annexées, un renvoi global à d’autres écrits, même annexés à la requête, ne saurait pallier l’absence des éléments essentiels de l’argumentation en droit, qui doivent figurer dans la requête (arrêt du 19 mars 2015, Dole Food et Dole Fresh Fruit Europe/Commission, C‑286/13 P, EU:C:2015:184, point 50 ainsi que jurisprudence citée).

90      En l’espèce, l’examen du dossier de première instance révèle que le Tribunal a conclu à bon droit que l’argumentation des requérantes comportait une affirmation étayée par le seul renvoi aux « [c]ommentaires sur le règlement provisoire, pages 22–23 et annexe 8, annexe A.8 », de telle sorte que le Tribunal n’était pas en mesure de déterminer les éléments par lesquels les requérantes entendaient justifier leurs prétentions à partir de leur requête.

91      En effet, la simple affirmation selon laquelle les requérantes avaient démontré que les frais VAG et les bénéfices des sociétés commerciales de l’Union et d’EuroChem Trading RUS, qui sont liés aux mêmes fonctions de vente, sont des facteurs qui affectent la comparabilité des prix sur le marché intérieur et les prix à l’exportation, ne saurait être considérée comme suffisante, au sens de la jurisprudence citée au point 89 du présent arrêt, pour faire ressortir les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels les requérantes se fondent.

92      Il s’ensuit que le Tribunal a conclu à bon droit à l’irrecevabilité de la quatrième branche du premier moyen du recours.

93      S’agissant de l’argumentation des requérantes relative à l’interprétation de l’article 2, paragraphe 9, et de l’article 2, paragraphe 10, sous k), du règlement de base, il y a lieu de relever que le raisonnement figurant aux points 142 à 146 de l’arrêt attaqué est développé à titre surabondant par le Tribunal par rapport à la conclusion tirée au point 141 de cet arrêt.

94      Or, la Cour rejette d’emblée les griefs dirigés contre des motifs surabondants d’un arrêt du Tribunal, puisque ceux-ci ne sauraient entraîner son annulation (arrêt du 25 janvier 2007, Sumitomo Metal Industries et Nippon Steel/Commission, C‑403/04 P et C‑405/04 P, EU:C:2007:52, point 106 ainsi que jurisprudence citée).

95      Il s’ensuit que le deuxième moyen de pourvoi doit être écarté, pour partie, comme étant inopérant et, pour partie, comme étant non fondé.

 Sur le troisième moyen

 Argumentation des parties

96      Les requérantes soutiennent que le Tribunal a, au point 352 de l’arrêt attaqué, commis une erreur de droit dans l’interprétation de l’article 5, paragraphes 1, 3, 6 et 9, et de l’article 7, paragraphe 2 bis, du règlement de base, en écartant le grief de leur quatrième moyen de recours, par lequel elles alléguaient que la plainte initiale ne contenait pas d’éléments de preuve suffisants pour justifier l’ouverture d’une enquête au titre de l’article 7, paragraphe 2 bis, du règlement de base.

97      À cet égard, en premier lieu, les requérantes font valoir que, en vertu de l’article 7, paragraphe 2 bis, du règlement de base, une enquête sur les distorsions relatives aux matières premières doit porter sur toute distorsion affectant ces matières pour l’existence de laquelle la Commission dispose d’éléments de preuve suffisants conformément à l’article 5 de ce règlement, lequel prévoit que l’ouverture d’une enquête peut intervenir soit sur la base d’une plainte, soit d’office.

98      Selon les requérantes, s’agissant des enquêtes ouvertes sur la base d’une plainte, il ressort de l’article 5, paragraphe 3, du règlement de base que la Commission est tenue d’examiner le caractère suffisant des éléments de preuve fournis dans cette plainte. Ainsi, les requérantes soutiennent que l’article 7, paragraphe 2 bis, du règlement de base impose, comme condition de l’ouverture d’une enquête, au sens de l’article 5 de ce règlement, concernant des distorsions affectant les matières premières, l’existence d’éléments de preuve suffisants figurant dans la plainte, si l’enquête est ouverte sur la base de l’article 5, paragraphe 1, dudit règlement, ou en la possession de la Commission, en l’absence d’une plainte, si l’enquête est ouverte sur la base de l’article 5, paragraphe 6, du même règlement.

99      Par conséquent, en considérant qu’une enquête peut être ouverte au titre de l’article 5, paragraphe 1, du règlement de base indépendamment du fait de savoir si la plainte déposée contient des éléments de preuve suffisants, le Tribunal aurait commis une erreur de droit. Par ailleurs, les requérantes considèrent que, dans la mesure où il ressort de l’article 5, paragraphe 9, du règlement de base que la Commission ouvre une procédure d’enquête lorsqu’il apparaît qu’il existe des éléments de preuve suffisants et informe le plaignant du rejet de sa plainte lorsque les éléments de preuve sont insuffisants, le Tribunal a également violé cette dernière disposition.

100    En outre, les requérantes estiment que le Tribunal a confondu deux bases juridiques distinctes pour l’ouverture d’une enquête, soit, respectivement, l’article 5, paragraphe 1, du règlement de base et l’article 5, paragraphe 6, de celui-ci. Par ailleurs, en procédant de la sorte, le Tribunal aurait approuvé l’ouverture par la Commission d’une enquête sur le fondement d’une plainte déposée au titre de l’article 5, paragraphe 1, de ce règlement sans que cette plainte contienne des éléments de preuve suffisants comme l’exigent l’article 5, paragraphe 3, et l’article 5, paragraphe 9, dudit règlement. En l’absence d’une plainte, une enquête pourrait être ouverte, dans des circonstances particulières, uniquement d’office, conformément à l’article 5, paragraphe 6, du même règlement.

101    En deuxième lieu, les requérantes font valoir que, au point 352 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a commis une erreur de droit en considérant que les plaignants n’étaient pas tenus, en vertu de l’article 5, paragraphe 2, du règlement de base, de fournir des éléments de preuve suffisants pour ouvrir une enquête. À cet égard, les requérantes soutiennent qu’il résulte d’une lecture combinée de l’article 5, paragraphe 2, du règlement de base et des paragraphes 3 et 6 de cet article qu’une plainte doit effectivement contenir les informations dont le plaignant peut raisonnablement disposer et que ces informations doivent comporter des éléments de preuve suffisants pour justifier l’ouverture d’une enquête. Partant, l’interprétation adoptée par le Tribunal serait contraire à l’article 5, paragraphes 2, 3 et 6, du règlement de base.

102    En outre, les requérantes soutiennent que l’interprétation de l’article 5 du règlement de base adoptée par le Tribunal se heurte à celle adoptée par l’ORD de l’OMC, lequel aurait considéré que le critère juridique approprié aux fins de l’interprétation de l’article 5.3 de l’accord antidumping était le caractère suffisant des éléments de preuve figurant dans une plainte et non pas l’exactitude et le caractère adéquat de ceux-ci.

103    En troisième lieu, les requérantes soutiennent que le Tribunal a confondu deux stades de l’enquête, soit, respectivement, celui de l’ouverture de l’enquête, visé à l’article 5 du règlement de base, et celui de l’enquête elle-même, visé à l’article 6 de ce règlement, en ayant considéré implicitement que la Commission pouvait compléter les éléments de preuve au stade de l’ouverture d’une enquête. Or, la Commission pourrait compléter de tels éléments uniquement au stade de l’enquête elle-même. Par conséquent, les requérantes estiment que le Tribunal a violé l’article 5, paragraphe 3, du règlement de base également à cet égard.

104    Pour le surplus, dans la mesure où il n’est pas contesté, selon les requérantes, que la plainte ayant conduit à l’ouverture de l’enquête en l’espèce ne contenait pas d’éléments de preuve d’un système de double prix en Russie, les requérantes considèrent que la Cour peut statuer elle-même sur la première branche du quatrième moyen qu’elles ont soulevée devant le Tribunal.

105    La Commission, soutenue par Fertilizers Europe, conteste l’argumentation invoquée par les requérantes et fait valoir que le troisième moyen de pourvoi doit être écarté.

 Appréciation de la Cour

106    Il convient de relever que le Tribunal a considéré, tout d’abord, au point 350 de l’arrêt attaqué, que l’article 5, paragraphe 2, du règlement de base prévoit que la plainte contient les renseignements dont le plaignant peut raisonnablement disposer et qui sont énumérés aux points a) à d) de cette disposition. Le Tribunal en a conclu que ladite disposition n’imposait pas au plaignant de fournir des éléments de preuve suffisants pour ouvrir une enquête.

107    Ensuite, au point 351 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a rappelé les termes de l’article 5, paragraphe 3, du règlement de base.

108    Enfin, au point 352 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a considéré que la décision d’ouvrir une enquête dépend non pas de la question de savoir si la plainte contient des éléments de preuve suffisants pour justifier son ouverture, mais de celle de savoir si les éléments de preuve dont dispose la Commission sont suffisants pour la justifier. Ainsi, le Tribunal a jugé que l’ouverture d’une enquête s’effectue au vu de l’ensemble des éléments de preuve disponibles, y compris ceux figurant dans la plainte, et ce quelle que soit la présentation de l’affaire dans cette plainte.

109    Ces appréciations sont exemptes d’erreur.

110    À cet égard, il y a lieu de relever, tout d’abord, qu’il ressort de l’article 5, paragraphe 2, du règlement de base que la plainte doit contenir les renseignements dont peut raisonnablement disposer le plaignant. Ensuite, le paragraphe 3 de cet article énonce que la Commission examine, dans la mesure du possible, l’exactitude et le caractère adéquat des éléments de preuve fournis dans la plainte, afin de déterminer s’il y a des éléments de preuve suffisants pour justifier l’ouverture d’une enquête. Enfin, aux termes du paragraphe 9 dudit article, la Commission ouvre une enquête lorsqu’il apparaît qu’il existe des éléments de preuve suffisants pour justifier l’ouverture d’une procédure.

111    Dès lors que l’article 5, paragraphe 3, du règlement de base exige de la Commission d’examiner, dans la mesure du possible, l’exactitude et le caractère adéquat des éléments de preuve fournis dans une plainte, il exige, nécessairement, que la Commission recueille les informations et les éléments de preuve qui confirment ou infirment les informations figurant dans cette plainte.

112    Par ailleurs, il ne ressort pas de l’article 5, paragraphe 9, du règlement de base que, lorsque la Commission prend la décision d’ouvrir une enquête, cette institution doit établir qu’il existe des éléments de preuve suffisants à cet effet dans la plainte présentée et exclusivement dans cette dernière. En effet, cette disposition exige uniquement qu’il existe des éléments de preuve suffisants pour justifier l’ouverture d’une enquête, sans préciser la source de tels éléments.

113    En outre, il y a lieu de relever que l’argumentation des requérantes selon laquelle l’interprétation adoptée par le Tribunal confond les deux fondements juridiques d’ouverture d’une enquête, soit, respectivement, l’article 5, paragraphe 1, du règlement de base et l’article 5, paragraphe 6, de ce règlement, ne saurait prospérer.

114    À cet égard, il suffit de relever que la condition devant être satisfaite pour l’ouverture d’une enquête, soit le caractère suffisant des éléments de preuve, est identique que les enquêtes soient ouvertes sur la base d’une plainte ou d’office par la Commission, l’article 5, paragraphe 9, du règlement de base n’opérant pas de distinction à cet égard.

115    Il s’ensuit que le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit dans l’interprétation de l’article 5 et de l’article 7, paragraphe 2 bis, du règlement de base.

116    Pour le surplus, en premier lieu, en ce qui concerne l’argumentation des requérantes relative à la jurisprudence de l’ORD de l’OMC, ainsi qu’il résulte des points 58 à 60 du présent arrêt, cette jurisprudence ne saurait être utilement invoquée pour remettre en cause l’interprétation de l’article 5 du règlement de base adoptée par le Tribunal.

117    D’une part, l’article 5 du règlement de base n’opère pas un renvoi à l’article 5.3 de l’accord antidumping. D’autre part, il ne ressort pas non plus du libellé de l’article 5 du règlement de base que le législateur de l’Union a, par cette disposition, entendu mettre en œuvre une obligation particulière prévue dans le cadre de l’accord antidumping.

118    En tout état de cause, il convient de relever que ladite argumentation repose sur une lecture erronée de l’arrêt attaqué.

119    En effet, le Tribunal n’a pas jugé qu’une enquête pouvait être ouverte sans que la condition relative au caractère suffisant des éléments de preuve fournis fût satisfaite. Le Tribunal a constaté, à bon droit, que la décision de la Commission relative au caractère suffisant des éléments de preuve doit être prise non pas exclusivement sur le fondement des preuves fournies dans la plainte, mais sur le fondement de l’ensemble des preuves dont dispose la Commission.

120    En second lieu, s’agissant de l’argumentation des requérantes selon laquelle l’interprétation adoptée par le Tribunal revient à confondre les deux stades distincts de la procédure, soit, respectivement, le stade de l’ouverture de l’enquête et le stade de l’enquête elle-même, il convient de considérer que celle-ci doit être écartée comme étant irrecevable.

121    À cet égard, les requérantes n’expliquent pas en quoi le constat opéré par le Tribunal au point 352 de l’arrêt attaqué, selon lequel la décision d’ouvrir une enquête au titre de l’article 5, paragraphe 1, du règlement de base doit être prise lorsqu’il apparaît qu’il existe des éléments de preuve suffisants pour la justifier, pourrait avoir une incidence sur l’interprétation de l’article 6 de ce règlement, qui porte sur la phase de l’enquête et a un objectif différent, soit l’établissement du dumping et du préjudice.

122    Il s’ensuit que le troisième moyen de pourvoi doit être écarté comme étant, en partie, irrecevable et, en partie, non fondé.

 Sur le quatrième moyen

 Argumentation des parties

123    Les requérantes font valoir que, en considérant, au point 354 de l’arrêt attaqué, que l’existence d’un système de double prix ressortirait de la plainte ayant conduit à l’ouverture de l’enquête, le Tribunal n’a pas examiné ou, à tout le moins, a dénaturé les éléments de preuve produits. Par ailleurs, les requérantes soutiennent que le Tribunal n’a pas motivé son raisonnement sur ce point.

124    À cet égard, les requérantes font valoir, en substance, que, en premier lieu, le Tribunal s’est contenté de faire référence au fait que la double tarification était mentionnée dans la plainte, sans répondre à leur argumentation selon laquelle cette plainte ne fournissait aucune preuve d’existence d’une telle double tarification. Or, le Tribunal aurait assimilé une allégation relative à l’existence d’un système de double prix à des éléments de preuve qui en démontreraient l’existence, dénaturant ainsi ces éléments de preuve. En outre, le Tribunal n’aurait pas satisfait à son obligation de motivation en ce que l’arrêt attaqué ne démontrerait pas que le Tribunal ait, d’une part, examiné si une telle allégation constitue un « élément de preuve suffisant », au sens de l’article 5, paragraphe 3, du règlement de base. D’autre part, le Tribunal n’aurait pas vérifié si la Commission avait examiné l’exactitude et le caractère adéquat des éléments de preuve fournis dans la plainte.

125    En second lieu, les requérantes font valoir que le Tribunal a omis de répondre à leur argumentation selon laquelle il aurait dû exister des preuves suffisantes de l’existence alléguée d’un système de double prix en Russie dans la plainte et la Commission aurait dû examiner l’exactitude et le caractère adéquat de ces preuves, au lieu de simplement faire droit à des allégations non étayées. Or, le Tribunal se serait limité, au point 352 de l’arrêt attaqué, à énoncer qu’une enquête est ouverte au vu de l’ensemble des éléments de preuve disponibles, sans analyser si ces éléments de preuve constituaient la preuve d’un système de double prix ou d’une quelconque distorsion sur les matières premières.

126    En outre, les requérantes considèrent que, si le quatrième moyen de pourvoi est accueilli, l’état de la procédure permettrait à la Cour de statuer sur la quatrième branche du premier moyen qu’elles ont soulevé devant le Tribunal.

127    La Commission, soutenue par Fertilizers Europe, conteste l’argumentation invoquée par les requérantes et fait valoir que le quatrième moyen de pourvoi doit être écarté.

 Appréciation de la Cour

128    Il convient de relever que, en premier lieu, le Tribunal a écarté, aux points 350 à 352 de l’arrêt attaqué, l’argumentation des requérantes selon laquelle des éléments de preuve suffisants pour justifier l’ouverture d’une enquête doivent ressortir exclusivement de la plainte.

129    En deuxième lieu, le Tribunal a constaté, au point 353 de l’arrêt attaqué, que, eu égard aux éléments de preuve dont elle disposait, la Commission n’avait pas commis d’erreur manifeste d’appréciation, d’une part, en considérant que le prix du gaz naturel représentait plus de 17 % du coût de production, à partir du moment, en particulier, où les coûts variables représentaient 33 % de ce coût et que la plainte indiquait que « le coût-clé de production [était] le gaz naturel », et, d’autre part, en décidant d’ouvrir une enquête relative aux UAN, en ce qui concerne les importations en provenance de Russie.

130    En troisième lieu, le Tribunal a écarté, aux points 354 et 355 de l’arrêt attaqué, les arguments des requérantes qui portaient sur l’absence de référence expresse, dans la plainte, à l’article 7, paragraphe 2 bis, du règlement de base et sur la prise en considération, par la Commission, de la version consolidée de la plainte, avant de conclure, au point 356 de cet arrêt, que l’argumentation des requérantes relative à l’absence d’éléments de preuve suffisants dans la plainte pour engager une enquête au titre de cette disposition devait être écartée.

131    À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, l’obligation de motiver les arrêts, qui incombe au Tribunal en vertu de l’article 36 et de l’article 53, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, n’impose pas à celui-ci de fournir un exposé qui suivrait exhaustivement et un par un tous les raisonnements articulés par les parties au litige. La motivation peut donc être implicite, à condition qu’elle permette aux intéressés de connaître les raisons sur lesquelles se fonde l’arrêt attaqué et à la Cour de disposer des éléments suffisants pour exercer son contrôle dans le cadre d’un pourvoi (arrêt du 19 juillet 2012, Alliance One International et Standard Commercial Tobacco/Commission, C‑628/10 P et C‑14/11 P, EU:C:2012:479, point 64 ainsi que jurisprudence citée).

132    En l’espèce, il y a lieu de relever que l’argumentation des requérantes repose sur la thèse, écartée par le Tribunal par des considérations qui ont été vainement critiquées dans le cadre du troisième moyen de pourvoi, selon laquelle la Commission devrait s’appuyer exclusivement sur les éléments de preuve fournis dans une plainte pour conclure au caractère suffisant des éléments de preuve, qui est la condition d’ouverture d’une enquête, de telle sorte que cette argumentation ne saurait prospérer. Ces considérations constituent, dès lors, une réponse adéquate à l’argument que les requérantes avaient fait valoir en première instance quant au fait que la plainte ne contenait pas de preuve d’une distorsion sur les matières premières.

133    En tout état de cause, il convient de constater que, par le grief par lequel les requérantes reprochent au Tribunal d’avoir assimilé une allégation, figurant dans la plainte, relative à l’existence d’un système de double prix à des éléments de preuve qui en démontreraient l’existence, celles-ci visent, en réalité, à ce que la Cour substitue sa propre conclusion à celle à laquelle est parvenu le Tribunal, de telle sorte que ce grief est irrecevable au stade du pourvoi (voir, en ce sens, arrêt du 9 juin 2016, PROAS/Commission, C‑616/13 P, EU:C:2016:415, point 52 et jurisprudence citée).

134    Il s’ensuit que le quatrième moyen de pourvoi doit être écarté.

 Sur le cinquième moyen

 Argumentation des parties

135    Les requérantes considèrent que, en concluant, au point 398 de l’arrêt attaqué, que les achats subventionnés de gaz naturel à Trinité-et-Tobago ne constituaient pas un « système de double prix », au sens de l’article 7, paragraphe 2 bis, du règlement de base, le Tribunal a dénaturé les éléments de preuve qui lui avaient été soumis, a commis une erreur de droit et a violé son obligation de motivation.

136    À cet égard, les requérantes font valoir que l’article 7, paragraphe 2 bis, du règlement de base précise que la liste des distorsions affectant les matières premières peut être mise à jour sur la base de l’inventaire des restrictions à l’exportation de matières premières industrielles établi par l’OCDE. Or, il ressortirait de cet inventaire que le système de double prix consiste en une pratique selon laquelle un gouvernement applique un prix différent pour un même produit, selon qu’il est exporté ou vendu sur le marché intérieur. En l’occurrence, une enquête a été ouverte sur l’existence d’une distorsion du prix du gaz en Russie résultant d’un système de double tarification. Or, dans la mesure où les requérantes auraient présenté à la Commission des éléments démontrant l’existence d’une situation comparable, à savoir un système de double prix du gaz, à Trinité-et-Tobago, elles ont soutenu que cette institution avait enfreint le principe de non–discrimination en ouvrant une enquête pour distorsion sur les matières premières à l’égard de la Fédération de Russie, et non à l’égard de la République de Trinité-et-Tobago.

137    À cet égard, les requérantes reprochent au Tribunal, d’une part, d’avoir refusé de reconnaître que le subventionnement des achats de gaz naturel à Trinité-et-Tobago constituait une « distorsion », au sens de l’article 7, paragraphe 2 bis, du règlement de base.

138    Ainsi, le Tribunal aurait commis une erreur de droit, consistant en une erreur d’interprétation de l’article 7, paragraphe 2 bis, du règlement de base, en refusant de considérer le subventionnement des achats de gaz naturel à Trinité-et-Tobago comme constituant l’un des types de mesures figurant dans la liste exhaustive des distorsions sur les matières premières, établie à l’article 7, paragraphe 2 bis, deuxième alinéa, du règlement de base.

139    D’autre part, les requérantes reprochent au Tribunal d’avoir omis de répondre à leur grief et commis une dénaturation, en indiquant qu’elles n’avaient contesté ni l’existence ni la qualification de ce subventionnement. Or, les requérantes auraient fait valoir que le subventionnement des achats de gaz naturel à Trinité-et-Tobago équivalait à une double tarification, puisque tous les prix du gaz domestique y sont fixés par l’État, que ces prix ne sont pas fondés sur le marché et qu’ils font l’objet de remises dans le but de promouvoir spécifiquement la production du produit concerné à Trinité-et-Tobago, alors que l’entreprise publique disposant du monopole d’État sur le gaz exportait du gaz naturel.

140    Pour le surplus, compte tenu du fait que les éléments de preuve soumis par les requérantes démontreraient qu’il existait une double tarification du gaz à Trinité-et-Tobago, celles-ci estiment que l’état de la procédure permet à la Cour de statuer sur la quatrième branche du quatrième moyen qu’elles ont soulevée devant le Tribunal. En outre, les requérantes considèrent que le principe de non–discrimination est de valeur constitutionnelle, de telle sorte qu’un grief tiré d’une violation de ce principe ne saurait être considéré comme inopérant, comme l’a considéré le Tribunal lorsqu’il a écarté la quatrième branche du quatrième moyen.

141    La Commission, soutenue par Fertilizers Europe, conteste l’argumentation invoquée par les requérantes et fait valoir que le cinquième moyen de pourvoi doit être écarté.

 Appréciation de la Cour

142    Il y a lieu de relever que le Tribunal a écarté l’argumentation des requérantes tirée du caractère discriminatoire de l’enquête aux points 398 à 400 de l’arrêt attaqué, considérant que, à supposer même que les requérantes aient intérêt à invoquer cette argumentation eu égard à l’absence éventuelle de conséquences sur la décision en ce qui les concerne, ladite argumentation était non fondée, dans la mesure où la Commission avait correctement indiqué que les systèmes en vigueur à Trinité-et-Tobago et aux États-Unis ne relevaient pas de la liste exhaustive établie à l’article 7, paragraphe 2 bis, du règlement de base.

143    Le Tribunal a examiné l’argumentation des requérantes relative à l’existence d’une distorsion sur le gaz à Trinité-et-Tobago et est parvenu à la conclusion, au point 400 de l’arrêt attaqué, que les importations dans l’Union provenant de Trinité-et-Tobago ne se trouvaient pas dans une situation comparable à celles provenant de Russie.

144    À cet égard, le Tribunal a constaté que les distorsions alléguées consistaient en des subventions aux producteurs d’UAN de Trinité-et-Tobago pour leurs achats de gaz et que le subventionnement de matières premières ne constituait pas l’un des types de mesures figurant dans la liste exhaustive des mesures considérées comme étant des distorsions affectant des matières premières, établie à l’article 7, paragraphe 2 bis, deuxième alinéa, du règlement de base.

145    Cette disposition énumère, de façon limitative, une liste de distorsions sur les matières premières, parmi lesquelles les systèmes de double prix, en précisant que ces distorsions doivent avoir pour effet que le prix de la matière première est sensiblement inférieur aux prix pratiqués sur les marchés internationaux représentatifs.

146    Or, ainsi que la Commission l’a relevé à juste titre, l’argumentation des requérantes devant le Tribunal ne saurait être considérée comme visant à faire valoir que les subventions nationales à Trinité-et-Tobago constituaient un système de double prix, comme celui en vigueur en Russie. En effet, l’existence de subventions ne signifie pas nécessairement que les prix sur le marché intérieur sont inférieurs aux prix à l’exportation, dès lors que le niveau de ces derniers dépend des conditions spécifiques sur les marchés internationaux.

147    Au surplus, pour autant que l’argumentation des requérantes vise à ce que la Cour remplace la conclusion du Tribunal par la sienne, elle doit être écartée comme étant irrecevable, conformément à la jurisprudence constante rappelée au point 133 du présent arrêt.

148    Enfin, en tant que les requérantes invoquent une dénaturation, il suffit de constater qu’il découle du contexte que, en énonçant, au point 398 de l’arrêt attaqué, que les requérantes n’avaient contesté ni l’existence ni la qualification du subventionnement en cause, le Tribunal visait non pas leur argumentation au regard de l’article 7, paragraphe 2 bis, du règlement de base, mais, dans l’absolu, la nature des mesures existant à Trinité-et-Tobago, nature que les requérantes ont effectivement admise en soutenant que le subventionnement en cause équivalait à un système de double prix, au sens de cette disposition.

149    Il y a lieu de conclure que le cinquième moyen de pourvoi doit être écarté.

150    Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, le pourvoi doit être rejeté.

 Sur les dépens

151    En vertu de l’article 184, paragraphe 2, de son règlement de procédure, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens. Conformément à l’article 138, paragraphe 1, de ce règlement de procédure, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

152    En l’espèce, les requérantes ayant succombé, il y a lieu de les condamner à supporter, outre leurs propres dépens, ceux exposés par Fertilizers Europe et par la Commission, conformément aux conclusions de ces dernières.

Par ces motifs, la Cour (neuvième chambre) déclare et arrête :

1)      Le pourvoi est rejeté.

2)      AO Nevinnomysskiy Azot et AO Novomoskovskaya Aktsionernaya Kompania NAK « Azot » sont condamnées à supporter, outre leurs propres dépens, ceux exposés par Fertilizers Europe et par la Commission européenne.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.