30.10.2019   

FR

Journal officiel de l’Union européenne

C 366/49


ALERTE DU COMITÉ EUROPÉEN DU RISQUE SYSTÉMIQUE

du 27 juin 2019

concernant des vulnérabilités à moyen terme du secteur immobilier résidentiel en France

(CERS/2019/12)

(2019/C 366/09)

LE CONSEIL GÉNÉRAL DU COMITÉ EUROPÉEN DU RISQUE SYSTÉMIQUE,

vu le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne,

vu le règlement (UE) no 1092/2010 du Parlement européen et du Conseil du 24 novembre 2010 relatif à la surveillance macroprudentielle du système financier dans l’Union européenne et instituant un Comité européen du risque systémique (1), et notamment ses articles 3, 16 et 18,

considérant ce qui suit:

(1)

L’immobilier est un secteur clé de l’économie réelle et représente une part majeure de la richesse des ménages et des prêts bancaires. Les biens immobiliers résidentiels constituent une grande partie du patrimoine des ménages et les prêts au logement sont souvent un poste important dans le bilan des établissements de crédit. Par ailleurs, la construction de logements est généralement un élément important de l’économie réelle, en étant une source d’emplois, d’investissement et de croissance.

(2)

Les crises financières passées et l’expérience de nombreux pays ont démontré qu’une évolution instable des marchés immobiliers peut avoir de graves répercussions sur la stabilité du système financier et de l’économie dans son ensemble dans un pays donné, ce qui peut également donner lieu à des effets d’entraînement transfrontalier négatifs. Les effets sur la stabilité financière peuvent être à la fois directs et indirects. Les effets directs consistent en des pertes de crédit sur des portefeuilles hypothécaires en raison de conditions économiques et financières défavorables coïncidant avec une évolution négative du marché de l’immobilier résidentiel. Les effets indirects sont liés à des ajustements de la consommation des ménages, entraînant d’autres conséquences sur l’économie réelle et la stabilité financière.

(3)

Les marchés immobiliers ont tendance à suivre une évolution cyclique. Une prise de risque excessive, un endettement excessif et des mesures incitatives incohérentes en phase de reprise du cycle de l’immobilier peuvent entraîner de graves conséquences négatives sur la stabilité financière et l’économie réelle. Compte tenu de la pertinence de l’immobilier résidentiel pour la stabilité macroéconomique et financière, il est particulièrement important de chercher à empêcher l’accumulation de vulnérabilités sur les marchés de l’immobilier résidentiel en recourant à la politique macroprudentielle, outre l’usage de celle-ci comme moyen d’atténuer le risque systémique.

(4)

Si les facteurs cycliques jouent un rôle important dans la création des vulnérabilités identifiées sur les marchés immobiliers résidentiels des pays de l’Espace économique européen (EEE), il existe également des facteurs structurels qui les ont favorisées. Ces facteurs peuvent être une offre immobilière insuffisante (qui a exercé une pression haussière sur les prix de l’immobilier et la dette des ménages qui achètent leur bien immobilier) ou d’autres politiques publiques qui peuvent inciter les ménages à contracter des dettes supplémentaires. Étant donné que ces facteurs sortent du champ de la politique macroprudentielle, des mesures émanant d’autres domaines politiques peuvent compléter et soutenir les mesures macroprudentielles actuelles en remédiant de manière efficiente et efficace aux vulnérabilités présentes sur les marchés de l’immobilier résidentiel dans chaque pays sans engendrer de coûts excessifs pour l’économie réelle et le système financier.

(5)

En 2016, le Comité européen du risque systémique (CERS) a mené une évaluation, à l’échelle de l’Union, des vulnérabilités à moyen terme liées au secteur immobilier résidentiel (2). Cette évaluation a permis au CERS d’identifier un certain nombre de vulnérabilités à moyen terme dans plusieurs pays comme étant des sources de risque systémique pour la stabilité financière, ce qui a donné lieu à la publication d’alertes à destination de huit pays: la Belgique (3), le Danemark (4), le Luxembourg (5), les Pays-Bas (6), l’Autriche (7) , la Finlande (8), la Suède (9) et le Royaume-Uni (10).

(6)

Le CERS a récemment conclu une évaluation systématique et prospective, à l’échelle de l’EEE, des vulnérabilités liées au secteur immobilier résidentiel (11).

(7)

Dans ce contexte, le CERS a identifié dans onze pays, parmi lesquels la France, certaines vulnérabilités à moyen terme comme étant des sources de risque systémique pour la stabilité financière et qui auxquelles il n’a pas été suffisamment remédié.

(8)

Pour la France, l’évaluation des vulnérabilités conduite par le CERS laisse apparaître les éléments suivants:

a.

L’endettement des ménages français est relativement élevé par rapport à leur revenu disponible. Il a significativement augmenté au cours des 10 dernières années et la récente dynamique à moyen terme indique que cette tendance pourrait se poursuivre. Les principaux risques associés à un tel niveau d’endettement consistent en une possible contraction de la consommation avec des effets de second tour sur la stabilité financière en cas de choc macroéconomique. L’économie française présente toutefois certains facteurs d’atténuation. Premièrement, les ménages ont un taux d’épargne élevé par rapport aux autres pays. Deuxièmement, l’existence d’importants filets de protection sociale permet d’atténuer les conséquences d’une chute soudaine du revenu des emprunteurs en cas de chômage, réduisant ainsi les possibles effets de second tour d’un choc macroéconomique. Troisièmement, un pourcentage élevé d’emprunteurs n’est pas exposé au risque de taux d’intérêt en raison de la part élevée de prêts au logement à taux fixe.

b.

La croissance des prêts au logement a été relativement forte, tant à court qu’à moyen terme. L‘augmentation des prêts au logement nouvellement consentis est notable et pourrait conduire à renforcer la croissance de l’endettement général des ménages. Certains indices laissent, en outre, apparaître une possible vulnérabilité aux chocs économiques et financiers, de certains ménages ayant contracté un prêt au logement en France plus particulièrement les ménages jeunes et ceux à faible revenu dont les ratios service de la dette-revenu (debt-service-to-income – DSTI) sont plus élevés. En outre, environ un tiers des prêts au logement nouvellement consentis ont un ratio prêt-valeur (LTV) de plus de 95 % et le ratio prêt-revenu moyen des prêts nouvellement consentis a atteint son plus haut niveau historique en 2017. La maturité moyenne des prêts au logement a également augmenté tandis que la répartition des ratios DTSI s’est dégradée. Les micro-données préliminaires utilisées par les autorités françaises pour suivre ces évolutions indiquent qu’une grande partie des emprunteurs ayant un ratio LTV ou DTSI élevé sont des ménages aisés dont les prêts sont assortis de sûretés et garanties.

c.

Bien qu’il ne soit pas établi clairement que l’l’immobilier résidentiel soit surévalué sur l’ensemble du territoire en France, les prix de l’immobilier résidentiel ont significativement augmenté dans certaines grandes villes (12), notamment dans la région parisienne, ce qui pourrait avoir érodé l’accès au logement dans certains endroits. Au niveau local, certains éléments indiquent que les prix de l’immobilier résidentiel sont élevés par rapport aux revenus et aux loyers. Sachant qu’un tiers de l’ensemble des prêts accordés ont un ratio LTV élevé et qu’un ajustement, des prix des logements pourrait intervenir dans le futur, le patrimoine de certains ménages pourrait s’en trouver déprécié. Les pertes de crédit directes dues à une baisse possible de la valeur des garanties apportées aux prêts hypothécaires devraient toutefois être faibles en raison de plusieurs facteurs spécifiques au pays. Premièrement, le système de garantie utilisé pour garantir les prêts au logement (13) permet d’atténuer le risque direct de crédit pour les établissements de crédit en cas de chute des prix de l’immobilier. Deuxièmement, les éventuels effets sur le patrimoine des ménages devraient être plus faibles que dans d’autres économies avancées car il n’est pas possible de dégager des liquidités ou des titres à partir de la réévaluation d’un logement.

d.

Une conjoncture économique et financière défavorable ou une évolution négative du marché de l’immobilier résidentiel pourrait conduire à la concrétisation de risques directs et indirects pour la stabilité financière, compte tenu des vulnérabilités mentionnées ci-dessus. Les risques directs potentiels pour le système bancaire en France portent à la fois sur les défauts éventuels de prêts accordés dans un environnement de forte hausse des prix de l’immobilier résidentiel et de taux d’intérêt faibles, sur les ménages endettés et sur les pressions de la concurrence qui conduisent à un relâchement des critères d’octroi des prêts et à un rétrécissement des marges. En France, un certain nombre de facteurs, tels que le canal des garanties supposé être relativement faible, les filets importants de protection sociale et la prévalence des prêts à taux fixe, devraient atténuer les risques directs de crédit en cas de chocs sur le marché du logement. Toutefois, si, par exemple, le chômage augmente ou la croissance du revenu des ménages diminue, certains ménages peuvent avoir des difficultés à honorer leurs dettes. L’association d’effets défavorables à la fois sur le revenu et le patrimoine des ménages peut renforcer le choc initial si les ménages doivent réduire leur consommation afin de rembourser leurs prêts au logement, ce qui pourrait entraîner des effets de second tour et augmenter les risques encourus par les établissements de crédit et le système financier.

e.

Le CERS prend note du fait que la France a annoncé un taux de coussin de fonds propres contracyclique de 0,5 % afin de renforcer à titre préventif la résilience des établissements. Le calibrage de cette mesure macroprudentielle tient compte de l’endettement du secteur non financier en France de façon plus large et plus particulièrement de celui du secteur des ménages, dans la mesure où les prêts aux ménages sont également soutenus par la bonne tenue des prix de l’immobilier résidentiel. Cette mesure se rapportant aux fonds propres devrait donc renforcer la résilience du secteur bancaire aux vulnérabilités accumulées. Toutefois, elle ne devrait pas ralentir la dynamique d’endettement des ménages, ou freiner la détérioration des critères d’octroi de prêts. Si les autorités nationales françaises ont contrôlé les modalités d’octroi de prêts, elles n’ont donné aucune orientation sur ce qui devrait être considéré comme des conditions prudentes d’octroi de crédit.

f.

Les mesures de politique actuelles sont estimées être partiellement appropriées et partiellement suffisantes pour atténuer les risques systémiques identifiés liés aux vulnérabilités du secteur immobilier résidentiel en France. Plus particulièrement, les mesures macroprudentielles actuelles se rapportant aux fonds propres pourraient être complétées par d’autres mesures pour pallier les vulnérabilités liées à l’endettement croissant des ménages et aux signes de détérioration des critères d’octroi des prêts. Le CERS reconnaît les efforts accomplis par les autorités françaises pour contrôler les risques dans le secteur immobilier résidentiel ainsi que leur objectif d’améliorer encore le cadre de suivi conformément à la recommandation CERS/2016/14 du Comité européen du risque systémique (14). Nonobstant ce qui précède, d’autres mesures peuvent être nécessaires pour remédier aux vulnérabilités identifiées en France. En particulier, compte tenu de la hausse de l’endettement des ménages et des signes de détérioration des critères d’octroi des prêts, les autorités nationales françaises pourraient envisager des mesures préventives supplémentaires, telles que des lignes directrices explicites relatives aux critères d’octroi des prêts, tant sous la forme de recommandations que de mesures formelles se rapportant aux emprunteurs.

(9)

Lors de la mise en place de mesures visant à identifier les vulnérabilités, il convient que leur calibrage et introduction progressive tiennent compte de la position de la France dans les cycles économique et financier ainsi que des incidences possibles concernant les coûts et bénéfices associés.

(10)

Les alertes du CERS sont publiées après que l’intention du conseil général de procéder à la publication a été portée à la connaissance du Conseil de l’Union européenne et que celui-ci a eu la possibilité de réagir, et après que les destinataires ont été informés de l’intention de publication,

A ADOPTÉ LA PRÉSENTE ALERTE:

Le CERS a identifié des vulnérabilités à moyen terme dans le secteur immobilier résidentiel en France qui constituent une source de risque systémique pour la stabilité financière et pourraient avoir de graves conséquences pour l’économie réelle. Du point de vue macroprudentiel, le CERS considère que les principales vulnérabilités sont l’endettement élevé et croissant des ménages associé à une récente détérioration des critères d’octroi des prêts.

Fait à Francfort-sur-le-Main, le 27 juin 2019.

Chef du secrétariat du CERS,

au nom du conseil général du CERS

Francesco MAZZAFERRO


(1)  JO L 331 du 15.12.2010, p. 1.

(2)  Voir «Vulnerabilities in the EU residential real estate sector» («Vulnérabilités du secteur immobilier résidentiel de l’Union européenne»), CERS, novembre 2016, disponible en anglais sur le site internet du CERS à l’adresse suivante: www.esrb.europa.eu.

(3)  Alerte CERS/2016/06 du Comité européen du risque systémique du 22 septembre 2016 concernant des vulnérabilités à moyen terme du secteur immobilier résidentiel en Belgique (JO C 31 du 31.1.2017, p. 45).

(4)  Alerte CERS/2016/07 du Comité européen du risque systémique du 22 septembre 2016 concernant des vulnérabilités à moyen terme du secteur immobilier résidentiel au Danemark (JO C 31 du 31.1.2017, p. 47).

(5)  Alerte CERS/2016/09 du Comité européen du risque systémique du 22 septembre 2016 concernant des vulnérabilités à moyen terme du secteur immobilier résidentiel au Luxembourg (JO C 31 du 31.1.2017, p. 51).

(6)  Alerte CERS/2016/10 du Comité européen du risque systémique du 22 septembre 2016 concernant des vulnérabilités à moyen terme du secteur immobilier résidentiel aux Pays-Bas (JO C 31 du 31.1.2017, p. 53).

(7)  Alerte CERS/2016/05 du Comité européen du risque systémique du 22 septembre 2016 concernant des vulnérabilités à moyen terme du secteur immobilier résidentiel en Autriche (JO C 31 du 31.1.2017, p. 43).

(8)  Alerte CERS/2016/08 du Comité européen du risque systémique du 22 septembre 2016 concernant des vulnérabilités à moyen terme du secteur immobilier résidentiel en Finlande (JO C 31 du 31.1.2017, p. 49).

(9)  Alerte CERS/2016/11 du Comité européen du risque systémique du 22 septembre 2016 concernant des vulnérabilités à moyen terme du secteur immobilier résidentiel en Suède (JO C 31 du 31.1.2017, p. 55).

(10)  Alerte CERS/2016/12 du Comité européen du risque systémique du 22 septembre 2016 concernant des vulnérabilités à moyen terme du secteur immobilier résidentiel au Royaume-Uni (JO C 31 du 31.1.2017, p. 57).

(11)  Voir «Vulnerabilities in the residential real estate sectors of EEA countries» («Vulnérabilités des secteurs immobiliers résidentiels des pays de l’EEE»), CERS, 2019, disponible en anglais sur le site internet du CERS à l’adresse suivante: www.esrb.europa.eu.

(12)  INSEE (dernières données du quatrième trimestre 2018), disponible sur https://www.insee.fr/fr/statistiques/3733241, comprenant les données relatives à Paris, Lyon et Marseille.

(13)  Les garants sont des établissements financiers ou des compagnies d’assurance détenues par une ou plusieurs établissements financiers qui, dans tous les cas, sont des organismes régis par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution.

(14)  Recommandation CERS/2016/14 du Comité européen du risque systémique du 31 octobre 2016 visant à combler les lacunes de données immobilières (JO C 31 du 31.1.2017, p. 1).