Conclusions de l'avocat général

Conclusions de l'avocat général

1. Depuis le mois de mars 2011, le président Bachar Al-Assad et le régime qu’il dirige sont contestés en Syrie. Le moyen privilégié par le régime en place pour répondre à cette contestation est celui de la répression, laquelle a précipité le pays dans une guerre civile.

2. Face aux violences commises par le régime de Bachar Al-Assad, l’Union européenne a décidé de mettre en place des mesures restrictives. Ces mesures sont destinées à faire pression sur ce régime afin qu’il renonce aux violences contre la population civile. Elles ont soit une portée générale, en ce qu’elles visent, par exemple, des interdictions d’exporter certains produits à destination de la Syrie, soit une portée individuelle, en ce qu’elles visent, notamment, à geler les fonds et les ressources économiques des personnes physiques et morales qui sont liées au régime syrien.

3. Ainsi, bien que les mesures restrictives aient pour cible formelle un État, elles affectent, en réalité, des personnes physiques ou morales qui soit sont considérées comme directement responsables de la situation contre laquelle l’Union entend lutter, soit y contribuent ou ont le pouvoir de peser sur sa résolution (2) .

4. Les mesures restrictives décidées à l’encontre du régime syrien ont été progressives. Elles ont visé, au départ, des personnes en raison de leurs fonctions officielles au sein de l’appareil étatique. Constatant que, malgré ce premier jeu de mesures, la répression contre la population civile se poursuivait, l’Union a ensuite élargi la portée des mesures à d’autres franges de la population, parmi lesquelles figurent plusieurs dirigeants d’entreprises.

5. Cet élargissement du champ d’application personnel des mesures restrictives soulève la problématique relative à la démonstration du lien qu’entretiennent les personnes inscrites sur les listes de gel des fonds avec le régime de l’État tiers contre lequel sont dirigées ces mesures.

6. Telle est, précisément, la problématique qui se trouve au cœur des présentes affaires.

7. Par ses deux pourvois, M. Anbouba demande à la Cour d’annuler deux arrêts du Tribunal de l’Union européenne Anbouba/Conseil (3), par lesquels le Tribunal a rejeté ses recours en annulation introduits contre plusieurs décisions de gel des fonds le concernant.

8. Dans ses arrêts, le Tribunal a jugé que, en considérant que les dirigeants des principales entreprises syriennes pouvaient être qualifiés de personnes associées au régime syrien, les activités commerciales desdites entreprises ne pouvant prospérer à moins de bénéficier des faveurs dudit régime et de lui apporter en retour un certain soutien, le Conseil de l’Union européenne avait entendu faire application d’une présomption de soutien au régime syrien à l’encontre des dirigeants des principales entreprises en Syrie.

9. Le Tribunal a estimé, sur la base d’un ensemble de faits, qu’une telle présomption pouvait être appliquée à M. Anbouba.

10. Dans les limites inhérentes à une procédure de pourvoi, la Cour est invitée à décider si, par ses arrêts, le Tribunal a violé ou non les règles relatives à la charge de la preuve en matière de mesures restrictives, telles qu’elles résultent de la jurisprudence de la Cour.

11. Dans les présentes conclusions, nous proposerons, après avoir dressé un bilan de la jurisprudence récente de la Cour ayant dégagé de telles règles, de rejeter les présents pourvois.

12. En effet, même si l’articulation du raisonnement du Tribunal autour de la notion de présomption nous paraît contestable, nous exposerons les raisons pour lesquelles nous considérons que ce dernier a pu, à bon droit, aboutir à la conclusion que le Conseil avait satisfait à la charge de la preuve qui lui incombe en matière de mesures restrictives, compte tenu, notamment, du critère d’inscription prévu dans les règles générales relatives aux mesures restrictives dirigées contre le régime syrien, pour la fixation duquel le Conseil bénéficie d’une large marge d’appréciation, de l’existence d’un ensemble de faits notoires et de faits non contestés, des caractéristiques de ce régime ainsi que du contexte de guerre civile en Syrie.

I – Les faits à l’origine du litige

13. Le Tribunal, dans les arrêts attaqués, décrit comme suit les faits à l’origine du litige:

«1 Le 9 mai 2011, le Conseil [...] a adopté, sur le fondement de l’article 29 TUE, la décision 2011/273/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO L 121, p. 11). L’article 4, paragraphe 1, de cette décision dispose que tous les fonds et ressources économiques qui appartiennent à des personnes responsables de la répression violente exercée contre la population civile en Syrie et aux personnes, physiques ou morales, et entités qui leur sont liées, dont la liste figure à l’annexe de ladite décision, de même que tous les fonds et ressources qu’elles possèdent, détiennent ou contrôlent, sont gelés. Les modalités de ce gel sont définies aux autres paragraphes du même article. Aux termes de l’article 5, paragraphe 1, de la décision 2011/273, le Conseil établit ladite liste.

2 Par la décision 2011/522/PESC, du 2 septembre 2011, modifiant la décision 2011/273 (JO L 228, p. 16), le Conseil a notamment étendu le champ d’application de l’article 4, paragraphe 1, de cette dernière décision à tous les fonds et ressources économiques appartenant à des personnes responsables de la répression violente exercée contre la population civile en Syrie, à des personnes et entités bénéficiant des politiques menées par le régime ou soutenant celui-ci et aux personnes et entités qui leur étaient liées, dont la liste figurait à l’annexe, de même que tous les fonds et ressources qu’elles possédaient, détenaient ou contrôlaient. Le nom du requérant, M. Issam Anbouba, a alors été inséré sur cette liste. Les motifs de cette inclusion, indiqués dans la colonne correspondante de ladite liste, sont les suivants: ‘Président [de l’]Issam Anbouba Est. for agro-industry [(4) ]. Apporte un soutien économique au régime syrien’.

3 Le règlement (UE) n o  442/2011 du Conseil, du 9 mai 2011, concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie (JO L 121, p. 1), a été adopté sur le fondement de l’article 215, paragraphe 2, TFUE [(5) ] et de la décision 2011/273. Il prévoit à son article 4, paragraphe 1, le gel de tous les fonds et ressources économiques appartenant aux personnes physiques ou morales, entités et organismes énumérés à son annexe II, ou possédés, détenus ou contrôlés par ceux-ci. Le règlement (UE) n o  878/2011 du Conseil, du 2 septembre 2011, modifiant le règlement n o  442/2011 (JO L 228, p. 1), a notamment modifié l’annexe II du règlement n o  442/2011 et inséré le nom du requérant sur la liste des personnes, entités et organismes concernés par la mesure en cause. Les motifs indiqués pour son inclusion dans la liste figurant à ladite annexe sont identiques à ceux indiqués dans l’annexe de la décision 2011/522.

4 La décision 2011/628/PESC du Conseil, du 23 septembre 2011, modifiant la décision 2011/273 (JO L 247, p. 17), et le règlement (UE) n o  1011/2011 du Conseil, du 13 octobre 2011, modifiant le règlement n o  442/2011 (JO L 269, p. 18), ont maintenu le nom du requérant sur la liste mentionnée au point 3 ci-dessus et introduit des informations relatives à sa date et à son lieu de naissance.

5 Le 7 octobre 2011, le requérant a formé auprès du Conseil une demande de réexamen de la décision par laquelle son nom avait été inclus dans la liste en question, à laquelle celui-ci a répondu négativement le 14 novembre 2011.

6 La décision 2011/684/PESC du Conseil, du 13 octobre 2011, modifiant la décision 2011/273 (JO L 269, p. 33), a ajouté le nom d’une nouvelle entité à la liste des personnes, entités et organismes concernés par les mesures en cause et modifié certaines dispositions de la décision 2011/273 au fond. La décision 2011/735/PESC du Conseil, du 14 novembre 2011, modifiant la décision 2011/273 (JO L 296, p. 53), a institué des mesures restrictives supplémentaires à l’égard des personnes figurant sur cette liste.

7 Le 14 octobre 2011, le Conseil a publié un avis à l’attention des personnes et entités auxquelles s’appliquaient les mesures restrictives prévues par la décision 2011/273, modifiée par la décision 2011/684, et par le règlement n o  442/2011, modifié par le règlement n o  1011/2011 (JO C 303, p. 5).

8 La décision 2011/273 a été abrogée et remplacée par la décision 2011/782/PESC du Conseil, du 1 er  décembre 2011, concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO L 319, p. 56), à la suite de l’adoption de nouvelles mesures supplémentaires, celle-ci maintenant le nom du requérant sur la liste des personnes, entités et organismes concernés par ces mesures.

9 La décision d’exécution 2012/37/PESC du Conseil, du 23 janvier 2012, mettant en œuvre la décision 2011/782 (JO L 19, p. 33), a ajouté d’autres personnes et entités à la liste en cause et la décision 2012/122/PESC du Conseil, du 27 février 2012, modifiant la décision 2011/782 (JO L 54, p. 14), a prévu de nouvelles mesures à l’encontre des personnes inscrites sur cette liste.

10 Le règlement (UE) n o  36/2012 du Conseil, du 18 janvier 2012, concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie et abrogeant le règlement n o  442/2011 (JO L 16, p. 1), a lui-même été modifié par le règlement (UE) n o  168/2012 du Conseil, du 27 février 2012 (JO L 54, p. 1), qui a inscrit d’autres noms sur la liste des personnes, entités et organismes concernés par ces mesures et a prévu de nouvelles mesures à l’encontre des personnes inscrites sur cette liste. Le règlement d’exécution (UE) n o  410/2012 du Conseil, du 14 mai 2012, mettant en œuvre l’article 32, paragraphe 1, du règlement n o  36/2012 (JO L 126, p. 3), a modifié les informations relatives à la date et au lieu de naissance du requérant ainsi que les motifs de son inscription sur la liste figurant à l’annexe II du règlement n o  36/2012 de la manière suivante:

‘Impliqué dans la fourniture d’assistance financière pour l’appareil répressif et les groupes paramilitaires exerçant des violences à l’encontre de la population civile en Syrie. Fournissant des biens immobiliers (locaux; entrepôts) pour des centres de détention improvisés. Relations financières avec de hauts fonctionnaires syriens’.»

II – Les recours devant le Tribunal

14. M. Anbouba a introduit deux recours en annulation devant le Tribunal.

15. Dans le premier recours (affaire T‑563/11), les actes dont l’annulation était demandée, que ce soit dans le recours initial ou dans les mémoires adaptant les conclusions, étaient les suivants:

– la décision 2011/522;

– la décision 2011/628;

– la décision 2011/782;

– le règlement n o  878/2011, et

– le règlement n o  36/2012,

dans la mesure où le nom de M. Anbouba figurait sur la liste des personnes visées par les mesures restrictives adoptées en raison de la situation en Syrie.

16. Dans le second recours (affaire T‑592/11), les actes dont l’annulation était demandée, que ce soit dans le recours initial ou dans les mémoires adaptant les conclusions, étaient les suivants:

– la décision 2011/684;

– la décision 2011/782;

– le règlement n o  1011/2011;

– le règlement n o  36/2012, et

– le règlement d’exécution n o  410/2012,

dans la mesure où le nom de M. Anbouba figurait sur la liste des personnes visées par les mesures restrictives adoptées en raison de la situation en Syrie.

III – Les arrêts attaqués

17. Dans le premier recours (affaire T‑563/11), M. Anbouba invoquait six moyens d’annulation, mais il s’est désisté de trois de ceux-ci. Le Tribunal a examiné les trois moyens restants, à savoir le deuxième, tiré d’une v iolation des règles en matière de preuve et d’erreurs manifestes d’appréciation relatives aux motifs de l’inscription de M. Anbouba sur la liste des personnes faisant l’objet des mesures restrictives, le troisième, tiré d’une violation des droits de la défense, et le quatrième, tiré d’une violation de l’obligation de motivation.

18. Dans le second recours (affaire T‑592/11), M. Anbouba invoquait six moyens d’annulation, mais il s’est désisté des deux derniers de ceux-ci. Le Tribunal a examiné les quatre moyens restants, à savoir le premier, tiré d’une violation du principe de présomption d’innocence et d’un renversement de la charge de la preuve, le deuxième, tiré d’erreurs manifestes d’appréciation relatives aux motifs de l’inscription de M. Anbouba sur la liste des personnes faisant l’objet des mesures de sanction de l’Union, le troisième, tiré d’une violation des droits de la défense, et le quatrième, tiré d’une violation de l’obligation de motivation.

19. Dans les deux recours, après avoir examiné et rejeté chacun des moyens, le Tribunal a rejeté les recours et a condamné M. Anbouba aux dépens.

IV – Les conclusions des parties devant la Cour

20. Dans les affaires C‑605/13 P et C‑630/13 P, M. Anbouba demande à la Cour:

1) d’annuler les arrêts attaqués;

2) statuant par voie de dispositions nouvelles, de déclarer et d’arrêter:

– la décision d’inscription de M. Anbouba sur la liste des personnes et des entités visées par les sanctions économiques est illégale;

– les décisions et les règlements en cause à l’occasion des affaires T‑563/11 et T‑592/11 sont annulés, et

– le Conseil est condamné aux dépens de chacune des instances.

21. Le Conseil demande qu’il plaise à la Cour:

– rejeter les pourvois;

– le cas échéant et à titre subsidiaire, rejeter les recours contre les actes en cours, et

– condamner M. Anbouba aux dépens des pourvois.

22. La Commission conclut qu’il plaise à la Cour:

– rejeter les pourvois et

– condamner M. Anbouba aux dépens.

V – Les pourvois

23. Chacun des deux pourvois est fondé sur les deux mêmes moyens.

24. Par le premier moyen, M. Anbouba conteste l’utilisation, par le Tribunal, à son égard d’une présomption d’association au régime syrien et, par le second, l’absence de contrôle normal, par le Tribunal, des décisions et des règlements en cause.

25. Les pourvois sont dirigés contre les points suivants des arrêts attaqués.

26. Les points 32 et 33 de l’arrêt T‑563/11 (qui sont, en substance, identiques aux points 42 et 43 de l’arrêt T‑592/11) sont rédigés comme suit:

«32 Il ressort des considérants de la décision 2011/522 que, les mesures restrictives adoptées dans la décision 2011/273 n’ayant pas permis de mettre fin à la répression du régime syrien contre la population civile [syrienne], le Conseil a considéré qu’il y avait lieu d’appliquer lesdites mesures à d’autres personnes et entités profitant du régime ou appuyant celui-ci, en particulier à celles qui finançaient le régime ou qui lui apportaient un soutien logistique, notamment à l’appareil de sécurité, ou qui compromettaient les efforts visant à assurer une transition pacifique vers la démocratie. Ainsi, il apparaît que la décision 2011/522 a étendu les mesures restrictives aux principaux entrepreneurs syriens, le Conseil considérant que [les dirigeants des principales entreprises syriennes] pouvaient être qualifiés de personnes associées au régime syrien, les activités commerciales [desdites] entreprises ne pouvant prospérer à moins de bénéficier des faveurs dudit régime et de lui apporter en retour un certain soutien. En procédant de la sorte, le Conseil a entendu faire application d’une présomption de soutien au régime syrien à l’encontre des dirigeants des principales entreprises en Syrie.

33 S’agissant du requérant, il ressort du dossier que le Conseil a fait application d’une telle présomption en raison de ses qualités de président de [la SAPCO], société majeure de l’industrie agroalimentaire[, qui détient notamment une part de marché de 60 % dans le secteur de l’huile de soja], de dirigeant de plusieurs sociétés actives dans le domaine de l’immobilier et de l’éducation et de membre fondateur du conseil d’administration de [...] Cham Holding[, société privée la plus importante en Syrie], créée en 2007, et de ses fonctions de secrétaire général de la chambre de commerce et d’industrie de la ville de Homs (Syrie).»

27. Afin de vérifier si le Conseil avait commis une erreur de droit en utilisant une présomption, le Tribunal s’est référé, au point 35 de l’arrêt T‑563/11 et au point 45 de l’arrêt T‑592/11, à la jurisprudence en matière de droit de la concurrence selon laquelle les institutions peuvent faire usage de présomptions qui reflètent la possibilité pour l’administration ayant la charge de la preuve de tirer des conclusions en se fondant sur les règles d’expérience commune découlant du déroulement normal des choses (6) . Il a rappelé, au point 36 de l’arrêt T‑563/11 et au point 46 de l’arrêt T‑592/11, qu’une présomption, même difficile à renverser, demeure dans des limites acceptables tant qu’elle est proportionnée au but légitime poursuivi, qu’existe la possibilité d’apporter la preuve contraire et que les droits de la défense sont assurés (7) .

28. À ces mêmes points, le Tribunal s’est appuyé sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme selon laquelle l’article 6, paragraphe 2, de la convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, ne se désintéresse pas des présomptions de fait ou de droit, mais qu’il commande aux États de les enserrer dans des limites raisonnables prenant en compte la gravité de l’enjeu et préservant les droits de la défense (8) .

29. Au point 37 de l’arrêt T‑563/11 et au point 47 de l’arrêt T‑592/11, le Tribunal s’est également référé au point 69 de l’arrêt Tay Za/Conseil (9), duquel il ressortirait que, s’agissant de décisions en matière de gel des fonds, l’utilisation de présomptions n’est pas exclue dès lors que celles-ci ont été prévues par les actes en cause et qu’elles répondent à l’objectif de cette réglementation.

30. Appliquant ces éléments de jurisprudence au cas d’espèce, le Tribunal a, en premier lieu, jugé, au point 38 de l’arrêt T‑563/11 et au point 48 de l’arrêt T‑592/11, que, compte tenu de la nature autoritaire du régime syrien et du contrôle étroit exercé par l’État sur l’économie syrienne, le Conseil pouvait considérer comme constituant une règle d’expérience commune le fait que les activités de l’un des principaux hommes d’affaires en Syrie, actif dans de nombreux secteurs, n’avaient pas pu prospérer à moins que celui-ci n’ait bénéficié des faveurs dudit régime et lui ait apporté en retour un certain soutien.

31. Le Tribunal a, en deuxième lieu, examiné si cette présomption était proportionnée au but poursuivi par le Conseil, si elle était réfragable et si elle préservait les droits de la défense de M. Anbouba.

32. Au point 40 de l’arrêt T‑563/11 et au point 50 de l’arrêt T‑592/11, le Tribunal a rappelé les objectifs de la décision 2011/522, la nature conservatoire des mesures adoptées et les considérations impérieuses touchant à la sûreté ou à la conduite des relations internationales de l’Union et de ses États membres qui peuvent s’opposer à la communication de certains éléments de preuve aux intéressés. Il a conclu que l’utilisation de la présomption par le Conseil apparaissait proportionnée.

33. Au point 41 de l’arrêt T‑563/11 et au point 51 de l’arrêt T‑592/11, le Tribunal a constaté que la présomption était réfragable dès lors que le Conseil devait communiquer aux personnes visées par les mesures restrictives les motifs de leur inscription et que ces personnes pouvaient se fonder sur des faits et des informations qu’elles seules pouvaient détenir pour démontrer qu’elles n’apportent pas leur soutien au régime en place.

34. Au point 43 de l’arrêt T‑563/11 et au point 53 de l’arrêt T‑592/11, le Tribunal a, en troisième lieu, jugé que la présomption avait été prévue par les actes en cause et qu’elle permettait de répondre à leurs objectifs.

35. Compte tenu de ces éléments, le Tribunal a conclu, au point 44 de l’arrêt T‑563/11 et au point 54 de l’arrêt T‑592/11, que le Conseil n’avait pas commis d’erreur de droit en considérant que la seule qualité d’homme d’affaires important en Syrie de M. Anbouba lui permettait de présumer que ce dernier apportait un soutien économique au régime syrien.

36. Le Tribunal a ensuite examiné, dans le cadre du deuxième moyen, les éléments fournis par M. Anbouba et destinés à démontrer que le Conseil aurait commis une erreur d’appréciation en considérant que, en sa qualité d’homme d’affaires important en Syrie, il apportait un soutien économique au régime syrien. À l’issue de cet examen, le Tribunal a estimé que M. Anbouba n’avait apporté aucun élément susceptible de renverser la présomption.

VI – Les arguments des parties

A – Sur le premier moyen

37. M. Anbouba fait valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit en considérant que le Conseil avait fait une juste application d’une présomption de soutien au régime syrien à l’encontre des dirigeants des principales entreprises en Syrie, dès lors que cette présomption est dépourvue de base juridique, disproportionnée par rapport au but légitime poursuivi et irréfragable.

38. En premier lieu, M. Anbouba fait valoir l’absence de base juridique du recours à la présomption. Il soutient que, contrairement à la condition prévue par la jurisprudence de la Cour, les actes litigieux ne prévoient pas le recours à la présomption. La deuxième phrase du point 32 de l’arrêt T‑563/11 et du point 42 de l’arrêt T‑592/11 serait une interprétation, par le Tribunal, de la décision 2011/522.

39. En deuxième lieu, M. Anbouba fait valoir le caractère disproportionné de la présomption par rapport à l’objectif poursuivi. Le Tribunal aurait validé un préjugé du Conseil le dispensant d’établir concrètement le lien entre les personnes visées par les mesures restrictives et le régime syrien. M. Anbouba conteste également la référence, faite par le Tribunal, à la jurisprudence en matière de concurrence. Il fait valoir que les notions de «règles d’expérience commune» et de «déroulement normal des choses», figurant au point 35 de l’arrêt T‑563/11 et au point 45 de l’arrêt T‑592/11, sont vagues et que les affaires de concurrence, relatives à des sanctions économiques, relèvent d’un tout autre contexte que celui du gel des fonds. M. Anbouba conclut que la présomption, en raison de son caractère extrêmement général, n’est pas dans des limites acceptables dès lors qu’elle est disproportionnée par rapport au but légitime poursuivi.

40. En dernier lieu, M. Anbouba soutient que la présomption en cause présente un caractère irréfragable. En effet, dès lors qu’il ne peut nier être dirigeant d’entreprise en Syrie et qu’il est matériellement impossible d’apporter une preuve négative d’un soutien au régime syrien, la seule possibilité de contester la présomption serait d’apporter la preuve d’une opposition audit régime. Il conteste le fait que cette présomption ne laisse aucune place aux personnes qui, sans entrer aucunement dans la catégorie des soutiens au régime, n’appartiennent pas non plus aux opposants affichés. C’est, dès lors, à tort que le Tribunal a rejeté comme insuffisants les éléments produits par M. Anbouba et qui établissaient son absence de soutien au régime en place.

41. Le Conseil rappelle, tout d’abord, qu’il dispose d’une compétence générale pour adopter des mesures restrictives contre les membres du régime en Syrie, qui est responsable de violations graves des droits de l’homme. De nature conservatoire, ces mesures restrictives visent uniquement à faire pression sur les autorités syriennes et les personnes qui leur sont associées pour qu’elles mettent fin à la campagne de répression violente qui aurait fait des milliers de morts en Syrie. Pour être efficaces, elles doivent viser les personnes responsables de cette répression et celles suspectées d’avoir un lien avec les premières.

42. Le Conseil souligne, ensuite, que l’objectif de politique étrangère des présentes affaires implique un large pouvoir d’appréciation du législateur de l’Union et un contrôle juridictionnel restreint.

43. Faisant référence au point 40 des conclusions de l’avocat général Mengozzi dans l’affaire Tay Za/Conseil (10), où l’avocat général distinguait trois cercles de personnes auxquelles étaient adressées des mesures restrictives, à savoir, premièrement, les dirigeants, deuxièmement, les personnes associées à ces dirigeants, et notamment les personnes tirant profit des politiques économiques, ainsi que, troisièmement, les membres de la famille des personnes qui tirent profit des politiques économiques, le Conseil indique que M. Anbouba fait partie du deuxième cercle de personnes visées.

44. Il rappelle que M. Anbouba est un homme d’affaires important qui fait partie de la classe économique dirigeante en Syrie, qu’il est un des piliers du pouvoir en place, qu’il est actionnaire de Cham Holding, une société qui fait également l’objet de mesures restrictives, qu’il est un proche de Rami Makhlouf, lui-même étant proche du régime, et qu’ils siègent tous les deux au conseil d’administration de Cham Holding qui est sous le contrôle de ce dernier.

45. Le Conseil souligne l’importance des cercles familiaux dans la conduite du pouvoir, tant politique qu’économique, en Syrie, et ce depuis des décennies. L’étude de la vie politique en Syrie et de l’exercice du pouvoir par le clan Assad (11) révélerait le partage qui s’est historiquement opéré entre ces grandes familles, dont les familles Anbouba et Makhlouf, affiliées les unes aux autres, tant des postes régaliens au sein du pouvoir (l’armée pour le clan Assad) que des postes-clés au service d’une économie longtemps centralisée. À la mort d’Hafez Al-Assad et à la suite de la vague de libéralisation économique partiellement engagée, ces familles associées au régime en seraient venues, en plus d’exercer un contrôle sur le secteur public économique, à dominer le tout nouveau secteur privé.

46. Le Conseil fait valoir que, dans le cadre d’une décision adoptée sur le fondement de l’article 29 TUE, en conformité avec le droit international, l’Union peut établir des présomptions sur lesquelles baser des mesures restrictives contre une catégorie de personnes et d’entités. Il souligne qu’il s’est appuyé sur le fait que M. Anbouba fait partie d’un groupe restreint composé des plus importants dirigeants d’entreprises en Syrie et aussi sur le fait que les entreprises de celui-ci ont prospéré sous ce régime, ce que le Tribunal a constaté au point 46 de l’arrêt T‑563/11 et au point 64 de l’arrêt T‑592/11. Ces deux éléments mettraient M. Anbouba dans une position caractérisée par rapport à d’autres personnes.

47. Pour renverser la présomption, il appartiendrait à M. Anbouba de prouver non pas qu’il s’oppose au régime, mais bien qu’il n’est pas dans une position caractérisée par rapport à d’autres personnes, preuve qu’il n’a pas fournie.

48. S’agissant de la proportionnalité de la présomption, le Conseil se réfère au point 50 de l’arrêt T‑592/11.

49. Dans ses mémoires en intervention, la Commission examine l’article 4 de la décision 2011/522 qui, selon elle, distingue quatre catégories de personnes et d’entités pouvant faire l’objet de mesures restrictives, à savoir celles qui sont responsables de la répression violente, celles qui bénéficient des politiques du régime, celles qui soutiennent le régime et celles qui sont liées aux personnes et aux entités précédentes. Elle rappelle, par ailleurs, les fonctions de M. Anbouba (dirigeant de plusieurs sociétés, actif dans plusieurs secteurs, membre du conseil d’administration de Cham Holding, coprésidée par Rami Makhlouf, cousin du président Bachar Al-Assad, secrétaire général de la chambre de commerce et d’industrie de la ville de Homs). La Commission fait valoir que la règle d’expérience commune fait référence non pas à tous les entrepreneurs syriens, mais aux «principaux hommes d’affaires en Syrie, actif[s] dans de nombreux secteurs».

50. La Commission rappelle qu’une présomption est un «mécanisme juridique consistant à induire un fait incertain d’un fait certain. Ce mécanisme est retenu quand la nature du fait incertain le rend très difficile à établir et qu’il découle d’un fait plus facile à établir» (12) . Son utilisation est admise par la Cour, et la Commission cite, à cet égard, l’arrêt Aalborg Portland e.a./Commission (13), dans lequel la Cour a jugé, au point 79, que, «[m]ême si la charge légale de la preuve incombe [...] soit à la Commission, soit à l’entreprise ou à l’association concernée, les éléments factuels qu’une partie invoque peuvent être de nature à obliger l’autre partie à fournir une explication ou une justification, faute de quoi il est permis de conclure que la charge de la preuve a été satisfaite».

51. Selon la Commission, la présomption est comparable à un faisceau d’indices, non suffisamment réfutés par l’autre partie. La Cour européenne des droits de l’homme indique d’ailleurs régulièrement que la preuve «au-delà de tout doute raisonnable» peut «résulter d’un faisceau d’indices, ou de présomptions non réfutées, suffisamment graves, précis et concordants» (14), mettant ainsi sur un pied d’égalité le faisceau d’indices et les présomptions non réfutées.

52. Les présomptions seraient acceptées par la Cour européenne des droits de l’homme en matière pénale. Selon cette Cour, l’article 6, paragraphe 2, de la convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales commande aux États de les enserrer dans des limites raisonnables, prenant en compte la gravité de l’enjeu et préservant les droits de la défense (15) . Elles sont également admises dans le domaine pénal par la Cour (16) . A fortiori, une présomption devrait-elle être admise dans un domaine comme celui du cas d’espèce, où il s’agit d’une mesure de politique extérieure et de sécurité, soumise par ailleurs à un contrôle qui ne peut qu’être restreint.

53. Selon la Commission, une décision peut reposer sur des éléments d’information, tels que des rapports publics, des articles de presse ou des rapports des services de renseignement, et non pas sur des éléments de preuve, notamment en l’absence de pouvoir d’enquête dans des États tiers. Elle souligne que le caractère adéquat de l’application d’une présomption est une question de fait et qu’il ne peut être soumis qu’à un contrôle plutôt exceptionnel dans le cadre d’un pourvoi.

54. S’agissant de la prétendue absence de base juridique à la présomption, la Commission fait valoir, premièrement, que, quand bien même la deuxième phrase du point 32 de l’arrêt T‑563/11 et du point 42 de l’arrêt T‑592/11 serait une interprétation par le Tribunal de la décision 2011/522, ce que soutient M. Anbouba, il n’apparaît pas en quoi une telle interprétation serait incorrecte. Elle fait valoir, deuxièmement, qu’il est erroné en droit d’affirmer qu’une présomption doit être prévue par une loi. En effet, les présomptions «de fait» découlent des principes bien établis de l’appréciation de la preuve et sont acceptées tant par la Cour européenne des droits de l’homme que par la Cour. Enfin, l’arrêt Tay Za/Conseil (EU:C:2012:138) concernait une toute autre présomption relative aux membres de la famille d’un homme d’affaires et la remarque de la Cour, au point 69 de cet arrêt, laisse entendre que celle-ci aurait pu se montrer ouverte à considérer la recevabilité d’une telle présomption si elle avait été prévue au moins dans la position commune ou le règlement en question, ce qui n’était pas le cas. La Commission conclut que le fait qu’une présomption ne soit pas explicitement prévue par la réglementation pertinente est sans importance, dès lors que les présomptions de fait ne sont, par définition, pas prévues par une loi, opérant au niveau cognitif et non pas normatif.

55. S’agissant du caractère prétendument disproportionné de la présomption, la Commission conteste l’argument de M. Anbouba, tiré des présomptions en matière de droit de la concurrence. Elle fait valoir que prouver quelque chose consiste toujours à agir sur la base des règles d’expérience. Par ailleurs, l’argument de M. Anbouba ignore que ni le Conseil ni le Tribunal n’ont fait valoir une présomption «générale» qui s’appliquerait à tous les régimes. Le Tribunal se fonde sur les circonstances propres du régime syrien, qui ne sont pas contestées dans le cadre des pourvois. La Commission souligne, en outre, que, contrairement au droit de la concurrence, le Conseil ne dispose pas d’un pouvoir d’enquête sur le territoire syrien et doit donc se baser sur des indices, ce qui justifie une acceptation plus large des présomptions dans un domaine qui n’est pas pénal. Enfin, la Commission relève que le Tribunal a tenu compte des enjeux (point 40 de l’arrêt T‑563/11 et point 50 de l’arrêt T‑592/11), conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.

56. En ce qui concerne le prétendu caractère irréfragable de la présomption, la Commission considère que M. Anbouba dénature les arrêts attaqués. En effet, le Tribunal exige non pas qu’il ait démontré être un opposant du régime, mais qu’il ne soutienne pas le régime ou qu’il n’en bénéficie pas. Elle relève que les pourvois ne remettent pas en question les appréciations effectuées aux points 66 à 76 de l’arrêt T‑592/11. Le fait qu’une telle preuve puisse être difficile à apporter en ce qui concerne un important homme d’affaires actif dans plusieurs secteurs peut aussi conforter le caractère adéquat d’une présomption (la présomption suppose une règle d’expérience commune qui connaît peu ou très peu d’exceptions), et non le contraire.

57. En réponse aux mémoires en intervention de la Commission, M. Anbouba relève que la Commission distingue quatre catégories de personnes/entités susceptibles de faire l’objet de mesures restrictives, alors que l’avocat général Mengozzi n’en distinguait que trois dans ses conclusions dans l’affaire Tay Za/Conseil (EU:C:2011:786). Il fait valoir qu’il incombe à la Cour de contrôler si la présomption a une base légale, dès lors que la règle d’expérience commune a été établie sur la base d’éléments prétendument notoires, mais par ailleurs non justifiés. M. Anbouba conteste, notamment, les conclusions tirées par le Conseil et la Commission des éléments le concernant:

– il n’est pas établi qu’il était susceptible d’influer sur les agissements reprochés à Cham Holding et il n’est pas tenu compte de sa démission, au mois d’avril 2011, de cette société, alors que l’inscription d’une personne physique, en raison de ses liens avec une personne ou une entité elle-même inscrite sur la liste, ne saurait se fonder sur des présomptions non étayées par le comportement de l’intéressé (17) ;

– s’agissant de sa qualité de secrétaire général de la chambre de commerce et d’industrie de la ville de Homs (entre l’année 2005 et l’année 2008), M. Anbouba fait valoir que des fonctions antérieures ne sauraient justifier une inscription sur une liste (18) . M. Anbouba précise, par ailleurs, qu’il avait été élu à ce poste en faisant campagne contre un autre candidat proche du régime;

– concernant la diversité de ses investissements dans plusieurs secteurs économiques sans rapport entre eux, M. Anbouba fait valoir que cela ne constitue pas une preuve en soi d’un soutien au régime, et

– quant aux liens avec la famille du président syrien, M. Anbouba fait valoir que la Commission se réfère probablement à l’ouvrage cité par le Conseil, qui fait allusion à quelques grandes familles associées au clan Assad; il relève que cet ouvrage n’a été cité qu’au cours de la procédure de pourvoi et qu’il n’a pas pu faire valoir ses droits de la défense à cet égard; il note, en tout état de cause, qu’il n’est pas mentionné dans ledit ouvrage.

58. Le Conseil n’a pas déposé d’observations sur les mémoires en intervention présentés par la Commission.

B – Sur le second moyen

59. M. Anbouba fait valoir que, en l’absence de présomption, il appartenait au Conseil de fournir les éléments de preuve fondant sa décision de l’inscrire sur la liste des personnes visées par les mesures restrictives en Syrie. En dispensant le Conseil de communiquer des éléments de preuve ou les motifs justifiant la non-divulgation desdits éléments et en admettant qu’il fasse reposer sa décision sur la seule base d’une présomption à laquelle il ne pouvait pourtant régulièrement avoir recours, le Tribunal s’est abstenu de sanctionner une violation manifeste du principe du contradictoire et de ses droits de la défense.

60. Se fondant sur l’arrêt Commission e.a./Kadi (19), M. Anbouba considère que, si le Conseil avait la possibilité de ne pas lui communiquer les éléments de preuve dont il disposait pour des considérations impérieuses touchant à la sûreté ou à la conduite des relations internationales, il devait, en revanche, d’une part, les communiquer au Tribunal pour que celui-ci puisse les apprécier et, d’autre part, justifier de l’existence des raisons s’opposant à ce que ces éléments soient communiqués à M. Anbouba.

61. Le Conseil ne prend pas position sur ce second moyen.

62. La Commission fait valoir que la présomption déplace l’objet de la preuve. Les faits connus étaient la situation personnelle de M. Anbouba et les caractéristiques du régime syrien. Ces faits n’étant pas contestés, il n’était pas nécessaire de communiquer au Tribunal des éléments de preuve additionnels.

63. Elle relève que l’arrêt Commission e.a./Kadi (EU:C:2013:518), invoqué par M. Anbouba, n’est pas pertinent. En effet, l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt est relative au terrorisme, où les exigences de preuve sont différentes. Dans cette affaire, la personne visée par la mesure restrictive niait tous les faits et la Commission ne se basait pas sur des éléments d’information ou des présomptions dont la base factuelle relèverait du domaine public ou serait acceptée par cette personne. Au contraire, l’arrêt Conseil/Manufacturing Support & Procurement Kala Naft (20) illustrerait la situation dans laquelle les éléments établissant la réalité des motifs retenus à l’encontre de la personne morale en cause n’étaient pas contestés et découlaient de documents publics. Dans ces conditions, ainsi que la Cour l’a jugé, le Conseil n’était dès lors pas tenu d’établir le preuve de l’activité de Manufacturing Support & Procurement Kala Naft (ci-après «Kala Naft») par d’autres éléments (21) .

VII – Notre appréciation

64. Bien qu’ils soient présentés de façon séparée par M. Anbouba, les deux moyens soulevés par ce dernier dans chacun des pourvois sont, à notre avis, intimement liés.

65. En effet, par le premier moyen, M. Anbouba fait valoir que sa seule qualité d’homme d’affaires important en Syrie ne permettait pas au Conseil de lui appliquer une présomption de soutien au régime de Bachar Al-Assad. Il estime que, et tel est l’objet du second moyen, le Conseil aurait dû fournir des preuves supplémentaires à l’appui de son inscription sur la liste des personnes faisant l’objet des mesures restrictives, afin de démontrer qu’il soutient le régime syrien.

66. Selon M. Anbouba, en se contentant de sa qualité d’homme d’affaires important en Syrie et en n’exigeant pas d’éléments de preuve supplémentaires, le Conseil aurait renversé la charge de la preuve en faisant peser sur lui la charge d’apporter la preuve négative qu’il ne soutient pas le régime de Bachar Al-Assad.

67. Si, dans le cadre des présents pourvois, M. Anbouba a indiqué qu’il ne contestait pas, en tant que tel, le recours à la présomption comme modalité de preuve, il a toutefois précisé en quoi une présomption de soutien au régime de Bachar Al-Assad ne pouvait pas lui être appliquée. En effet, selon lui, une telle présomption serait dépourvue de base légale, disproportionnée et irréfragable.

68. En somme, les deux moyens soulevés par M. Anbouba visent à remettre en cause la façon dont le Tribunal a apprécié si les règles relatives à la charge de la preuve en matière de mesures restrictives avaient été respectées, en reconnaissant l’existence d’une présomption de soutien au régime syrien à son égard et en n’exigeant donc pas du Conseil qu’il fournisse des preuves supplémentaires afin d’étayer l’existence de ce soutien.

69. Compte tenu du lien étroit entre les deux moyens soulevés par M. Anbouba dans chacun des pourvois, nous les examinerons ensemble.

70. À titre liminaire, il convient de bien cerner ce qui relève de la compétence de la Cour dans le cadre de la procédure de pourvoi.

71. Il résulte de la jurisprudence de la Cour que la méconnaissance alléguée des règles applicables en matière de preuve constitue une question de droit qui est recevable au stade du pourvoi (22) .

72. Plus précisément, la Cour a jugé que, «pour autant qu’ils viseraient l’appréciation que le Tribunal aurait faite des éléments de preuve qui lui ont été soumis, les griefs de la requérante ne peuvent être examinés dans le cadre d’un pourvoi. En revanche, il incombe à la Cour de vérifier si, lors de cette appréciation, le Tribunal a commis une erreur de droit en violant les principes généraux du droit, tels que la présomption d’innocence, et les règles applicables en matière de preuve, telles que celles relatives à la charge de la preuve» (23) .

73. Ainsi, «la question de la répartition de la charge de la preuve, bien qu’elle puisse avoir une incidence sur les constatations de fait opérées par le Tribunal, constitue une question de droit» (24) .

74. Au vu de cette jurisprudence, la Cour doit vérifier, dans le cadre des présents pourvois, si le Tribunal a violé ou non les règles qui régissent la répartition de la charge de la preuve en matière de mesures restrictives.

75. Nous rappellerons, dans un premier temps, à travers l’examen de trois arrêts, les règles que la Cour a dégagées concernant la charge de la preuve en matière de mesures restrictives. Puis, nous examinerons, dans un second temps, si le raisonnement développé par le Tribunal est compatible avec la jurisprudence de la Cour.

A – Les règles relatives à la charge de la preuve en matière de mesures restrictives

76. Au stade actuel de l’évolution du contentieux relatif aux mesures restrictives, nous trouvons les indications principales concernant les règles relatives à la charge de la preuve dans les arrêts Tay Za/Conseil (EU:C:2012:138), Commission e.a./Kadi (EU:C:2013:518) et Conseil/Manufacturing Support & Procurement Kala Naft (EU:C:2013:776).

1. L’arrêt Tay Za/Conseil

77. L’arrêt Tay Za/Conseil (EU:C:2012:138) porte sur les mesures restrictives instituées à l’encontre de la République de l’Union du Myanmar. Des mesures de gel des fonds avaient été adoptées à l’encontre de personnes tirant profit des politiques économiques du gouvernement. Le nom du requérant accompagné de l’information «Fils de Tay Za» et le nom de son père, M. Tay Za, assorti du motif selon lequel il était dirigeant d’entreprises figuraient sur les listes des personnes dont les fonds avaient été gelés.

78. Le requérant contestait le fait que sa seule qualité de membre de la famille d’un dirigeant d’entreprises puisse être considérée comme suffisante pour justifier son inscription.

79. Les mesures restrictives en cause ayant été adoptées sur le fondement des articles 60 CE et 301 CE, la Cour a précisé les conditions dans lesquelles une personne pouvait faire l’objet d’une mesure de gel de ses fonds au titre de ces articles.

80. À cet égard, la Cour a rappelé qu’elle avait déjà jugé, dans son arrêt Kadi et Al Barakaat International Foundation/Conseil et Commission (25), que, «au vu du libellé des articles 60 CE et 301 CE, en particulier des termes ‘à l’égard des pays [tiers] concernés’ et ‘avec un ou plusieurs pays tiers’ y figurant, ces dispositions visent l’adoption de mesures à l’encontre de pays tiers, cette dernière notion pouvant inclure les dirigeants d’un tel pays ainsi que des individus et des entités qui sont associés à ces dirigeants ou contrôlés directement ou indirectement par ceux-ci» (26) .

81. Par conséquent, la Cour a indiqué, au point 55 de son arrêt Tay Za/Conseil (EU:C:2012:138), qu’«il ne saurait être exclu que les dirigeants de certaines entreprises puissent faire l’objet de mesures restrictives adoptées sur le fondement des articles 60 CE et 301 CE pour autant qu’il soit établi qu’ils sont associés aux dirigeants de la République de l’Union du Myanmar ou que les activités de ces entreprises se trouvent sous la dépendance de ces dirigeants » (27) .

82. Dans le cadre de l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, le fils du dirigeant d’entreprises qui figurait sur la liste litigieuse était frappé par la mesure de gel de ses fonds pour la seule raison qu’il appartenait à la famille d’une personne qui pouvait être considérée comme étant associée aux dirigeants de la République de l’Union du Myanmar. En effet, le Tribunal avait jugé qu’il était permis de présumer que les membres de la famille des dirigeants d’entreprises tiraient profit de la fonction exercée par ces dirigeants de sorte que rien ne faisait obstacle à la conclusion qu’ils tiraient également profit des politiques économiques du gouvernement. Le Tribunal avait également jugé que cette présomption pouvait être renversée si le requérant parvenait à démontrer qu’il n’avait pas un lien étroit avec le dirigeant qui fait partie de sa famille.

83. Le Tribunal a alors conclu que les mesures restrictives, sur la base de sanctions ciblées et sélectives frappant certaines catégories de personnes jugées associées au régime en cause par le Conseil, dont les membres de la famille des dirigeants d’entreprises importants du pays tiers concerné, relevaient du champ d’application des articles 60 CE et 301 CE.

84. La Cour a considéré que, en raisonnant de la sorte, le Tribunal avait commis une erreur de droit.

85. Admettant qu’elle avait, au point 166 de l’arrêt Kadi et Al Barakaat International Foundation/Conseil et Commission (EU:C:2008:461), procédé à une interprétation large des articles 60 CE et 301 CE, dans la mesure où elle avait inclus dans la notion de «pays tiers» figurant dans lesdits articles les dirigeants de ces pays ainsi que les individus et les entités qui sont associés à ces dirigeants ou contrôlés directement ou indirectement par ceux-ci, la Cour a cependant précisé qu’une telle interprétation avait été soumise à des conditions visant à assurer une application des articles 60 CE et 301 CE conforme à l’objectif qui leur avait été assigné.

86. Selon la Cour, afin de pouvoir être adoptées sur le fondement des articles 60 CE et 301 CE, en tant que mesures restrictives frappant des pays tiers, les mesures à l’encontre de personnes physiques doivent viser uniquement les dirigeants desdits pays et les personnes qui sont associées à ces dirigeants.

87. Cette exigence assure, selon elle, l’existence d’un lien suffisant entre les personnes concernées et le pays tiers qui est la cible des mesures restrictives adoptées par l’Union, en empêchant les articles 60 CE et 301 CE de faire l’objet d’une interprétation trop large et, partant, contraire à la jurisprudence de la Cour.

88. Le Tribunal s’est donc vu reprocher par la Cour d’avoir élargi la catégorie de personnes physiques susceptibles de faire l’objet de mesures restrictives ciblées en présumant que les membres de la famille des dirigeants d’entreprises importants tirent également profit des politiques économiques du gouvernement. À cet égard, selon la Cour, l’application de telles mesures à des personnes physiques pour la seule raison de leur lien familial avec des personnes associées aux dirigeants du pays tiers concerné et indépendamment de leur comportement personnel se heurte à la jurisprudence de la Cour relative aux articles 60 CE et 301 CE.

89. Selon elle, en effet, il n’est pas aisé d’établir un lien, même indirect, entre l’absence de progrès réalisé sur la voie de la démocratisation et la persistance de violations des droits de l’homme au Myanmar et le comportement des membres de la famille de dirigeants d’entreprises. De plus, la Cour a voulu restreindre les catégories de personnes physiques susceptibles d’être frappées par des mesures restrictives ciblées à celles dont le lien de rattachement au pays tiers en cause s’impose de toute évidence, c’est-à-dire aux dirigeants des pays tiers et aux individus qui sont associés à ces dirigeants.

90. La Cour a ajouté que le critère utilisé par le Tribunal pour l’inclusion des membres de la famille de dirigeants d’entreprises reposait sur une présomption qui n’avait été prévue ni dans le règlement (CE) n o  194/2008 (28) ni dans les positions communes 2006/318/PESC (29) et 2007/750/PESC (30), auxquelles celui-ci renvoie, et qui ne répondait pas à l’objectif de cette réglementation.

91. La Cour en a conclu qu’«une mesure de gel des fonds et des ressources économiques appartenant au requérant ne pouvait être adoptée, dans le cadre d’un règlement visant à sanctionner un pays tiers sur le fondement des articles 60 CE et 301 CE, que sur la base d’éléments précis et concrets permettant d’établir que ledit requérant tire profit des politiques économiques des dirigeants de la République de l’Union du Myanmar » (31) .

92. Le raisonnement de la Cour, dans son arrêt Tay Za/Conseil (EU:C:2012:138), est articulé autour des bases juridiques qui étaient alors en vigueur, à savoir les articles 60 CE et 301 CE. Cependant, les développements principaux de cet arrêt nous semblent toujours pertinents.

93. En effet, l’enjeu relatif à l’étendue du champ d’application personnel des mesures adoptées contre un État tiers qui sont prises sur le fondement des articles 60 CE et 301 CE s’est, certes, atténué depuis que l’article 215, paragraphe 2, TFUE permet l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de personnes physiques ou morales, de groupes ou d’entités non étatiques. Cependant, l’intérêt des développements contenus dans ledit arrêt, en particulier en ce qui concerne la nécessité pour le Conseil de démontrer l’existence d’un lien suffisant entre la personne inscrite et le régime de l’État tiers en cause, n’a pas complètement disparu, puisque le contenu de l’article 301 CE se retrouve en substance à l’article 215, paragraphe 1, TFUE.

94. Or, rien n’exclut, à notre avis, que cette dernière disposition puisse servir, comme cela était précédemment le cas pour les articles 60 CE et 301 CE, de base juridique pour l’adoption de mesures à l’encontre des dirigeants des États tiers ainsi que des personnes qui leur sont associées. L’article 215, paragraphe 2, TFUE viserait, alors, les personnes qui ne pourraient pas être considérées comme étant associées à un État tiers, ce qui, d’ailleurs, est cohérent avec le libellé de cette disposition qui vise les personnes physiques et morales ainsi que les groupes et les entités «non étatiques».

95. En l’occurrence, les règlements en cause dans les présentes affaires ont été adoptés sur le fondement de l’article 215 TFUE, sans qu’il soit précisé si les mesures de gel des fonds adoptées à l’encontre des personnes considérées comme étant associées au régime syrien le sont sur le fondement du paragraphe 1 ou du paragraphe 2 de cet article.

96. Quoi qu’il en soit, l’important est de garder à l’esprit que les apports essentiels de l’arrêt Tay Za/Conseil (EU:C:2012:138) perdurent, même après l’instauration de nouvelles bases juridiques à l’article 215, paragraphes 1 et 2, TFUE.

97. Ainsi, cet arrêt illustre le fait que «la difficulté principale qui se pose en matière de mesures restrictives individuelles ayant pour cible formelle un État réside dans la définition du critère de rattachement de la cible réelle individuelle à la cible formelle étatique» (32) .

98. À cet égard, l’apport essentiel dudit arrêt est que, dès lors que le critère d’inscription figurant dans les règles générales relatives aux mesures restrictives en cause repose sur le lien unissant une catégorie de personnes au régime de l’État tiers concerné, tel que le fait de profiter des politiques économiques menées par ce régime, le Conseil est tenu, lorsqu’il applique ce critère d’inscription, de démontrer l’existence d’un lien suffisant entre la personne qu’il a choisi de désigner et ledit régime. C’est, en effet, à cette condition que l’inscription d’une personne sur une liste de gel des fonds pourra être considérée comme apte à atteindre l’objectif politique que poursuit le Conseil.

99. En particulier, si la Cour a admis que les dirigeants de certaines entreprises puissent faire l’objet de mesures restrictives, c’est à la condition qu’il soit établi qu’ils sont associés aux dirigeants de l’État tiers en cause ou que les activités de ces entreprises se trouvent sous la dépendance de ces dirigeants (33) .

100. La Cour ne se contente donc pas d’une allégation non étayée par des éléments d’information et de preuve. Faute d’éléments précis et concrets permettant d’établir qu’une personne tire profit des politiques économiques menées par les dirigeants d’un État tiers, le lien suffisant avec le régime n’existe pas et l’inscription doit alors être annulée (34) .

101. Comme nous aurons l’occasion de l’expliquer plus loin en détail, il est évident que, dans le cadre des présents pourvois, le lien entre M. Anbouba et le régime syrien est significativement plus étroit et ne se prête donc pas aux mêmes censures que celles relevées par la Cour dans l’arrêt Tay Za/Conseil (EU:C:2012:138). Contrairement à ce qui était le cas dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, le Conseil a démontré que M. Anbouba entrait dans le champ d’application du critère d’inscription, c’est-à-dire qu’il appartenait, en tant qu’homme d’affaires important en Syrie, à la catégorie des personnes qui tirent profit des politiques menées par le régime syrien ou qui soutiennent ce dernier (35) .

2. L’arrêt Commission e.a./Kadi

102. L’arrêt Commission e.a./Kadi (EU:C:2013:518) concerne les mesures restrictives adoptées à l’encontre de personnes et d’entités liées à Oussama ben Laden, au réseau Al-Qaida et aux Taliban.

103. Selon la jurisprudence issue de cet arrêt, l’effectivité du contrôle juridictionnel garanti par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne exige, notamment, que, «au titre du contrôle de la légalité des motifs sur lesquels est fondée la décision d’inscrire ou de maintenir le nom d’une personne déterminée sur [les listes de personnes visées par des sanctions], le juge de l’Union s’assure que cette décision [...] repose sur une base factuelle suffisamment solide [...]. Cela implique une vérification des faits allégués dans l’exposé des motifs qui sous-tend ladite décision [...], de sorte que le contrôle juridictionnel ne soit pas limité à l’appréciation de la vraisemblance abstraite des motifs invoqués, mais porte sur le point de savoir si ces motifs, ou, à tout le moins, l’un d’eux considéré comme suffisant en soi pour soutenir cette même décision, sont étayés » (36) .

104. C’est à l’autorité compétente de l’Union qu’il appartient, en cas de contestation, d’établir le bien-fondé des motifs retenus à l’égard de la personne concernée, et non à cette dernière d’apporter la preuve négative de l’absence de bien-fondé desdits motifs. Il importe que les informations ou les éléments produits par l’autorité en question étayent les motifs retenus à l’égard de la personne concernée. Si ces éléments ne permettent pas de constater le bien-fondé d’un motif, le juge de l’Union écarte ce dernier en tant que support de la décision d’inscription ou de maintien de l’inscription en cause (37) .

105. Ainsi, «le respect [des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective] implique [...] que, en cas de contestation juridictionnelle, le juge de l’Union contrôle, notamment, le caractère suffisamment précis et concret des motifs invoqués [au soutien de la décision d’inscription ou de maintien de l’inscription] ainsi que, le cas échéant, le caractère établi de la matérialité des faits correspondant au motif concerné à la lumière des éléments qui ont été communiqués» (38) .

106. Rapportée à la situation des hommes d’affaires importants dans un régime autoritaire, une telle exigence rejoint, à notre avis, celle formulée par la Cour au point 55 de son arrêt Tay Za/Conseil (EU:C:2012:138), à savoir qu’«il ne saurait être exclu que les dirigeants de certaines entreprises puissent faire l’objet de mesures restrictives [...] pour autant qu’il soit établi qu’ils sont associés aux dirigeants [du pays tiers concerné] ou que les activités de ces entreprises se trouvent sous la dépendance de ces dirigeants» (39) .

107. À cet égard, pour être considérée comme suffisante, la démonstration d’un lien entre la personne inscrite et le régime de l’État tiers en cause doit reposer sur une base factuelle suffisamment solide.

108. Comme nous le verrons plus loin, la base factuelle est, dans le cadre des affaires ayant donné lieu aux présents pourvois, composée à la fois de faits notoires et de faits non contestés, de sorte que l’existence d’un lien suffisant entre M. Anbouba et le régime syrien pouvait être considérée comme étant établie.

3. L’arrêt Conseil/Manufacturing Support & Procurement Kala Naft

109. Il convient de mentionner l’arrêt Conseil/Manufacturing Support & Procurement Kala Naft (EU:C:2013:776), car il fait application, en matière de mesures restrictives visant un État tiers, des développements contenus dans l’arrêt Commission e.a./Kadi (EU:C:2013:518), qui concernait une mesure antiterroriste.

110. L’autre intérêt de cet arrêt important est de ne pas seulement faire état de la nature préventive des mesures restrictives sans en tirer de conséquences, mais de pleinement prendre en compte cette nature dans son examen du bien-fondé de la mesure de gel des fonds contestée.

111. La nature préventive et non pas répressive des mesures restrictives influe bien entendu sur la nature, le mode et l’intensité de la preuve qui peut être demandée au Conseil.

112. L’affaire portait sur l’inscription de Kala Naft sur la liste des personnes et des entités dont les fonds sont gelés parce qu’elles apportent un appui aux activités nucléaires de la République islamique d’Iran posant un risque de prolifération ou à la mise au point de vecteurs d’armes nucléaires. Kala Naft est une société iranienne détenue par la National Iranian Oil Company (ci-après la «NIOC») et ayant pour vocation d’agir comme centrale d’achat pour les activités pétrolières, gazières et pétrochimiques du groupe de la NIOC.

113. Dans les conclusions que nous avons présentées dans le cadre de cette affaire, nous avons mis l’accent sur la nature préventive des mesures restrictives visant la République islamique d’Iran et les conséquences qu’il convenait d’en tirer en termes de preuve. Concernant l’appréciation du bien-fondé de la motivation, nous avons fait valoir que, lorsque, sur la base de l’ensemble des éléments de dossier et de contexte dont il dispose, le juge de l’Union est en mesure de constater que le risque que pose une personne ou une entité au regard de la lutte contre la prolifération nucléaire est suffisamment établi, cette personne ou cette entité peut, à bon droit, être considérée comme apportant un appui à la prolifération nucléaire et être donc visée par une mesure de gel des fonds.

114. L’arrêt de la Cour nous paraît s’inscrire dans cette démarche.

115. Dans son arrêt, la Cour a d’abord examiné la manière dont le Tribunal avait identifié et interprété les règles générales des textes applicables avant de se pencher plus particulièrement sur la manière dont il avait contrôlé la motivation et le bien-fondé des actes litigieux.

116. S’agissant des règles générales, la Cour est partie du double constat suivant. D’une part, ces règles générales établissaient un lien entre l’acquisition de biens et de technologies interdits, en l’occurrence l’acquisition d’équipements et de technologies clés destinés aux secteurs essentiels de l’industrie du pétrole et du gaz naturel en Iran, et la prolifération nucléaire (40) .

117. D’autre part, les règles générales visaient comme critère d’inscription la participation, l’association directe ou l’appui aux activités nucléaires de l’Iran posant un risque de prolifération. À cet égard, la Cour a jugé que «la notion d’‘appui’ implique un degré de rattachement aux activités nucléaires de l’Iran moindre que les notions de ‘participation’ et d’‘association directe’, et qu’elle est susceptible de recouvrir l’acquisition ou la commercialisation de biens et de technologies liés à l’industrie du gaz et du pétrole» (41) . Afin de corroborer cette interprétation, la Cour a pris en compte plusieurs actes mentionnant les revenus du secteur de l’énergie et le risque lié au matériel destiné à l’industrie du pétrole et du gaz. Ces éléments ont permis à la Cour de constater que «les actes litigieux ont visé l’industrie pétrolière, gazière et pétrochimique iranienne en raison du risque que cette industrie présentait pour la prolifération nucléaire, tant par les revenus qu’elle générait que par l’utilisation de matériel et de matières semblables à ceux utilisés dans certaines activités sensibles du cycle du combustible nucléaire» (42) .

118. La Cour en a déduit que le Tribunal avait commis une erreur de droit en jugeant que «l’adoption de mesures restrictives à l’égard d’une entité présuppose que celle-ci ait préalablement adopté un comportement répréhensible effectif, le seul risque que l’entité concernée adopte un tel comportement dans le futur n’étant pas suffisant» (43) . «En effet, les différentes dispositions des actes litigieux prévoyant le gel des fonds sont rédigées de manière générale (‘participant, étant directement associés ou apportant un appui [...]’), sans référence à des comportements préalables à une décision de gel des fonds» (44) . Il en résulte, selon la Cour, que, «même lorsqu’elles visent une entité déterminée, la référence à une finalité générale telle que révélée par les statuts de cette entité peut suffire à justifier l’adoption de mesures restrictives» (45) .

119. C’est à la lumière des règles générales définissant le critère d’inscription que la Cour a ensuite considéré que le premier motif d’inscription, selon lequel Kala Naft commercialise des équipements pour les secteurs pétrolier et gazier susceptibles d’être utilisés pour le programme nucléaire iranien, était suffisamment précis et concret pour permettre à Kala Naft de vérifier le bien-fondé des actes litigieux, de se défendre devant le Tribunal et à ce dernier d’exercer son contrôle. Concernant le bien-fondé de la mesure et, plus particulièrement, la matérialité des faits allégués dans le premier motif, la Cour a jugé, toujours à la lumière des règles générales définissant le critère d’inscription, que «le Conseil était en droit de considérer que des mesures pouvaient être adoptées à l’encontre de Kala Naft en ce qu’elle commercialisait des équipements pour les secteurs pétrolier et gazier susceptibles d’être utilisés pour le programme nucléaire iranien» (46) .

120. À cet égard, la Cour a pris en compte la base factuelle suivante, à savoir que Kala Naft est la centrale d’achat du groupe de la compagnie pétrolière nationale iranienne, la NIOC. Elle a relevé que cela figurait dans les statuts de cette société et n’était pas contesté par celle-ci. Kala Naft exposait elle-même que sa vocation exclusivement pétrolière, gazière et pétrochimique ressortait avec clarté de ses méthodes de travail (47) . En outre, Kala Naft indiquait elle-même qu’elle concourrait, de manière habituelle, à l’acquisition de portes en alliages pour la NIOC ou ses filiales (48) .

121. Eu égard à ces éléments, la Cour a constaté que les faits allégués dans le premier motif étaient avérés à suffisance de droit et que ce premier motif justifiait en soi les inscriptions sur les listes des actes litigieux.

122. Au point 105 de son arrêt, la Cour a également constaté, s’agissant des éléments établissant la réalité des motifs retenus à l’encontre de Kala Naft, que la fonction de centrale d’achat du groupe de la NIOC qu’elle exerce résulte tant de ses statuts que des brochures qu’elle édite. Le Conseil n’était dès lors pas tenu d’établir la preuve de l’activité de Kala Naft par d’autres éléments.

123. Cet arrêt est important parce qu’il démontre que l’exigence dont la Cour a fait preuve dans son arrêt Commission e.a./Kadi (EU:C:2013:518) en termes de degré de preuve ne conduit pas systématiquement à l’annulation des mesures de gel des fonds. En effet, la notion de «base factuelle suffisamment solide» est suffisamment large et malléable pour permettre aux juridictions de l’Union d’adapter le type et le degré de preuve requis en fonction du contexte dans lequel s’inscrivent de telles mesures.

124. Par ailleurs, la manière dont la Cour a organisé son raisonnement doit être approuvée en ce qu’elle a d’abord procédé à une analyse précise de la portée du critère d’inscription figurant dans les règles générales relatives aux mesures restrictives en cause avant d’en tirer les conséquences dans le cadre de l’examen du bien-fondé de la mesure individuelle visant Kala Naft. Comme le démontre cette affaire, l’examen du bien-fondé d’une mesure restrictive est, en effet, étroitement lié à la manière dont est conçu le critère d’inscription figurant dans les règles générales.

125. À cet égard, il importe de noter que la Cour a mis l’accent sur le fait que le Conseil bénéficie d’une large marge d’appréciation dans la détermination du critère d’inscription figurant dans les règles générales. Elle a, en effet, précisé, au point 120 de son arrêt Conseil/Manufacturing Support & Procurement Kala Naft (EU:C:2013:776), alors que la requérante contestait la proportionnalité des règles générales sur le fondement desquelles avait été décidée son inscription sur les listes, qu’«il y a lieu de rappeler que, s’agissant du contrôle juridictionnel du respect du principe de proportionnalité, la Cour a jugé qu’il convient de reconnaître un large pouvoir d’appréciation au législateur de l’Union dans des domaines qui impliquent de la part de ce dernier des choix de nature politique, économique et sociale, et dans lesquels il est appelé à effectuer des appréciations complexes. Elle en a déduit que seul le caractère manifestement inapproprié d’une mesure adoptée en ces domaines, par rapport à l’objectif que l’institution compétente entend poursuivre, peut affecter la légalité d’une telle mesure» (49) .

126. Plus concrètement, cet arrêt constitue une illustration de ce que des éléments factuels objectifs et notoires tirés de l’activité d’une entreprise, associés à l’existence de faits non contestés, peuvent suffire pour considérer que le Conseil a satisfait à la charge de la preuve qui lui incombe.

4. Le résumé des exigences relatives à la charge de la preuve en matière de mesures restrictives

127. S’agissant de mesures ayant pour objet de faire pression sur un État tiers, les critères d’inscription sont généralement fondés sur le lien d’association entre des catégories de personnes et cet État. À cet égard, les dirigeants de certaines entreprises peuvent faire l’objet de mesures restrictives à condition qu’il soit établi qu’ils sont associés aux dirigeants dudit État ou que les activités de ces entreprises se trouvent sous la dépendance de ces dirigeants.

128. La démonstration d’un tel lien d’association doit reposer sur une base factuelle suffisamment solide. Autrement dit, les motifs qui soutiennent l’inscription d’une personne sur une liste de gel des fonds doivent être suffisamment étayés.

129. Dès lors qu’une mesure restrictive est adoptée en application d’un critère d’inscription fondé sur le lien entre une catégorie de personnes et le régime de l’État tiers en cause, tel que le bénéfice tiré des politiques menées par ce régime ou le soutien fourni à ce dernier, cette mesure ne peut être prise que sur la base d’éléments précis et concrets permettant d’établir que la personne visée tire profit des politiques économiques conduites par les dirigeants dudit État tiers ou soutient ces derniers.

130. De tels éléments précis et concrets peuvent consister dans des faits notoires et/ou non contestés. Des éléments tirés d’une activité économique exercée par une personne ou d’une fonction occupée par celle-ci peuvent constituer, selon le contexte, des indices suffisants de ce que l’inscription d’une personne est apte à atteindre l’objectif visé par l’Union. Dans ce cas, il n’est pas exigé du Conseil qu’il apporte des éléments de preuve supplémentaires.

131. Il convient, à présent, d’examiner si le raisonnement suivi par le Tribunal dans les arrêts attaqués est compatible avec les règles relatives à la charge de la preuve telles qu’elles ressortent de la jurisprudence de la Cour.

B – La compatibilité du raisonnement du Tribunal avec les règles relatives à la charge de la preuve en matière de mesures restrictives

132. Afin de rejeter le grief tiré de ce que le Conseil aurait procédé à un renversement de la charge de la preuve, le Tribunal a, dans les arrêts attaqués, développé un raisonnement fondé sur la notion de présomption.

133. Le raisonnement suivi par le Tribunal peut être ainsi résumé.

134. D’abord, le Tribunal est parti du constat, fondé sur les considérants de la décision 2011/522, selon lequel les mesures restrictives adoptées dans la décision 2011/273 n’ayant pas permis de mettre fin à la répression du régime syrien contre la population civile syrienne, le Conseil a considéré qu’il y avait lieu d’appliquer lesdites mesures à d’autres personnes et entités profitant du régime ou appuyant celui-ci, en particulier à celles qui finançaient le régime ou qui lui apportaient un soutien logistique, notamment à l’appareil de sécurité, ou qui compromettaient les efforts visant à assurer une transition pacifique vers la démocratie. Il en a déduit que la décision 2011/522 a étendu les mesures restrictives aux principaux entrepreneurs syriens, le Conseil considérant que les dirigeants des principales entreprises syriennes pouvaient être qualifiés de personnes associées au régime syrien, les activités commerciales desdites entreprises ne pouvant prospérer à moins de bénéficier des faveurs dudit régime et de lui apporter en retour un certain soutien. Le Tribunal a relevé que, en procédant de la sorte, le Conseil avait entendu faire application d’une présomption de soutien au régime syrien à l’encontre des dirigeants des principales entreprises en Syrie.

135. C’est donc au stade de l’examen du critère d’inscription tel que défini par la décision 2011/522 que le Tribunal a dégagé l’idée selon laquelle l’extension de ce critère serait fondée sur une présomption de soutien des principaux dirigeants d’entreprises en Syrie au régime syrien. Le Tribunal a ensuite indiqué les raisons factuelles pour lesquelles le Conseil avait fait application, s’agissant de M. Anbouba, d’une présomption de soutien à ce régime.

136. Le Tribunal a poursuivi son raisonnement en examinant si le Conseil pouvait, sans commettre d’erreur de droit, appliquer une telle présomption de soutien à M. Anbouba. C’est à ce stade qu’il a jugé que la présomption appliquée par le Conseil à l’égard de celui-ci était fondée sur une base légale, qu’elle était proportionnée et qu’elle était réfragable. Le Tribunal en a conclu que le Conseil n’avait pas commis d’erreur de droit en considérant que la seule qualité d’homme d’affaires important en Syrie de M. Anbouba lui permettait de présumer que ce dernier apportait un soutien économique au régime syrien.

137. Il convient de vérifier si, en raisonnant de la sorte, le Tribunal a violé ou non les règles en matière de charge de la preuve telles qu’elles ont été définies par la Cour.

138. À cet égard, nous considérons que, même si l’utilisation de la notion de présomption, autour de laquelle le Tribunal a articulé son raisonnement, ne ressort pas de la jurisprudence de la Cour précitée, excepté dans l’arrêt Tay Za/Conseil (EU:C:2012:138) où elle a finalement été considérée comme insuffisante pour justifier la mesure en cause, le Tribunal a procédé, en substance, à une évaluation correcte de la charge de la preuve pesant sur le Conseil au vu du contexte syrien et des éléments de preuve et d’information dont il disposait.

139. Afin d’exposer les raisons pour lesquelles nous partageons la conclusion à laquelle le Tribunal est parvenu, nous identifierons, dans un premier temps, le critère d’inscription issu des règles générales relatives aux mesures restrictives en cause, puis nous examinerons, dans un second temps, la façon dont ce critère d’inscription a été appliqué.

1. Le critère général d’inscription

140. Afin de contrôler la légalité des mesures individuelles d’inscription sur les listes de gel des fonds, le juge de l’Union doit d’abord examiner quel est le critère général d’inscription fixé par le Conseil. En effet, c’est à la lumière de ce critère que le juge de l’Union devra apprécier, dans chaque cas, le caractère suffisamment précis et concret des motifs prévus dans les actes litigieux, le caractère établi de la matérialité des faits correspondant au motif concerné à la lumière des éléments qui ont été communiqués ainsi que, en définitive, le caractère suffisant des faits allégués pour justifier la mesure d’inscription.

141. Nous remarquons, d’emblée, que c’est bien à partir d’une analyse du critère d’inscription figurant dans la décision 2011/522 que le Tribunal a commencé son examen du point de savoir si les règles relatives à la charge de la preuve avaient été respectées ou non.

142. Il ressort de cet examen que, dans le contexte des mesures restrictives adoptées pour faire pression sur le régime syrien, l’inscription de personnes sur les listes de gel des fonds a été progressivement étendue pour viser non seulement le cercle des dirigeants de la République arabe syrienne, mais également les personnes et les entités profitant du régime de cet État tiers ou appuyant celui-ci.

143. Par la décision 2011/273, l’Union a entendu condamner fermement la répression violente, y compris par l’usage des tirs à balles réelles, des manifestations pacifiques en divers endroits dans toute la Syrie, qui s’est traduite par la mort de plusieurs manifestants, par des blessés et par des détentions arbitraires. L’Union a ainsi lancé un appel aux autorités syriennes pour qu’elles s’abstiennent de recourir à la répression (considérant 2 de cette décision). Le considérant 3 de ladite décision indique que, compte tenu de la gravité de la situation, il convient d’instituer des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie et des personnes responsables de la répression violente exercée contre la population civile syrienne. L’article 4, paragraphe 1, de la décision 2011/273 prévoit donc que sont gelés tous les fonds et les ressources économiques qui appartiennent à des personnes responsables de la répression violente exercée contre la population civile en Syrie et aux personnes, physiques ou morales, et aux entités qui leur sont liées.

144. Puis, dans sa décision 2011/522, le Conseil a rappelé, au considérant 2 de celle-ci, que, le 18 août 2011, l’Union avait condamné avec la plus grande fermeté la campagne impitoyable que Bachar Al-Assad et son régime menaient contre leur propre population et lors de laquelle de nombreux Syriens ont été tués ou blessés. L’Union a insisté à maintes reprises sur la nécessité de mettre fin à cette impitoyable répression, de remettre en liberté les manifestants arrêtés, de donner aux organisations humanitaires et aux organisations internationales de défense des droits de l’homme ainsi qu’aux médias la liberté d’accès et de lancer un véritable dialogue national ouvert à tous. Le Conseil constate, à ce même considérant, que le régime syrien est, toutefois, resté sourd aux appels de l’Union et de l’ensemble de la communauté internationale. C’est dans ces conditions que l’Union a décidé, comme cela ressort du considérant 3 de cette décision, d’adopter de nouvelles mesures restrictives contre le régime syrien.

145. Ainsi, au considérant 4 de la décision 2011/522, il est prévu que «[l]es restrictions à l’admission et le gel des fonds et ressources économiques devraient s’appliquer à d’autres personnes et entités profitant du régime ou appuyant celui-ci, en particulier aux personnes et entités qui financent le régime ou qui lui apportent un soutien logistique, notamment à l’appareil de sécurité, ou qui compromettent les efforts visant à assurer une transition pacifique vers la démocratie en Syrie» (50) .

146. Cette volonté s’est traduite par une modification de l’article 4, paragraphe 1, de la décision 2011/273 qui a prévu, depuis, que «[s]ont gelés tous les fonds et ressources économiques qui appartiennent à des personnes responsables de la répression violente exercée contre la population civile en Syrie, à des personnes et entités bénéficiant des politiques menées par le régime ou soutenant celui-ci et aux personnes et entités qui leur sont liées» (51) .

147. Cette extension du critère d’inscription s’est traduite dans le règlement n o  878/2011 qui a modifié le règlement n o  442/2011. L’article 5, paragraphe 1, de ce dernier, tel que modifié, vise ainsi, outre la catégorie des personnes responsables de la répression violente exercée contre la population civile syrienne, «des personnes et entités bénéficiant de l’appui du régime ou le soutenant, ou des personnes et entités qui leur sont associées» (52) .

148. La décision 2011/782 a ensuite abrogé la décision 2011/273 et a regroupé dans un instrument juridique unique les mesures imposées par cette dernière et les mesures supplémentaires. L’article 18, paragraphe 1, de la décision 2011/782, sur les restrictions en matière d’admission, ainsi que l’article 19, paragraphe 1, de celle-ci, qui concerne les mesures de gel des fonds et des ressources économiques, visent la catégorie des personnes «bénéficiant des politiques menées par le régime ou soutenant celui-ci». La décision 2011/782 a été mise en œuvre par le règlement n o  36/2012, abrogeant le règlement n o  442/2011.

149. Cette extension du critère d’inscription sur les listes des personnes dont les fonds sont gelés s’est accompagnée de la mise en place de mesures restrictives supplémentaires telles que l’interdiction d’investir dans le secteur du pétrole brut, l’interdiction de participer à certains projets d’infrastructure et aux investissements réalisés dans ces projets, ou encore l’interdiction de livrer des pièces et des billets de banque syriens à la Banque centrale de la Syrie.

150. La stratégie de l’Union a donc consisté, depuis l’année 2011, à instituer à la fois des mesures restrictives de nature générale, telles que des interdictions d’investissements dans des secteurs économiques, et des mesures restrictives de nature individuelle, telles que des mesures de gel des fonds et des ressources économiques. De nouvelles mesures sont instituées aussi longtemps que la répression exercée contre la population civile se poursuit, cela afin d’accroître la pression sur le régime syrien et de l’obliger à modifier son comportement. La gravité de la situation en Syrie et l’absence de progrès constatés commandent ainsi l’instauration de mesures restrictives supplémentaires.

151. S’agissant des mesures de gel des fonds, le critère d’inscription a été étendu à la catégorie des personnes et des entités bénéficiant des politiques menées par le régime ou soutenant celui-ci.

152. Ainsi que cela ressort du considérant 4 de la décision 2011/522, cette extension du critère d’inscription vise à faire obstacle aux soutiens financiers et logistiques qui sont apportés au régime par certaines personnes et entités. C’est, en effet, en paralysant de tels soutiens que, selon l’appréciation faite par le Conseil, l’objectif consistant à mettre fin aux violences commises par le régime de Bachar Al-Assad pourra être atteint.

153. En instituant un tel critère d’inscription, le Conseil a estimé que le gel des fonds appartenant aux personnes et aux entités bénéficiant des politiques menées par ce régime était susceptible de contribuer à affaiblir ce dernier en réduisant les soutiens que cette catégorie de personnes et d’entités fournit audit régime.

154. Il importe, à cet égard, de reconnaître que le Conseil bénéficie d’une large marge d’appréciation dans la définition des règles générales relatives aux critères d’inscription. Nous rappelons que la Cour s’est prononcée dans ce sens au point 120 de son arrêt Conseil/Manufacturing Support & Procurement Kala Naft (EU:C:2013:776).

155. Il ressort des considérants 2 à 4 de la décision 2011/522 que le Conseil a pour objectif de mettre fin à la répression impitoyable exercée par le président syrien Bachar Al-Assad et son régime contre leur propre population, d’obtenir la remise en liberté des manifestants arrêtés, d’accorder un libre accès au territoire syrien aux organisations humanitaires, aux organisations internationales de défense des droits de l’homme ainsi qu’aux médias et de lancer un véritable dialogue national ouvert à tous.

156. Eu égard à l’importance et à la nature des objectifs ainsi poursuivis, le Conseil pouvait considérer qu’il était nécessaire d’étendre le champ d’application personnel des mesures restrictives au-delà du cercle des dirigeants de l’État tiers en cause. Il lui revient d’apprécier si, compte tenu des résultats obtenus grâce aux mesures restrictives précédentes, il convenait ou non d’en étendre la portée afin d’accroître la pression sur l’État tiers concerné.

157. En outre, il est loisible au Conseil d’estimer que, si les mesures restrictives en cause ne visaient que les dirigeants du régime syrien, et non également les personnes profitant de ce régime ou le soutenant, la réalisation des objectifs poursuivis par le Conseil aurait pu être mise en échec, ces dirigeants pouvant facilement obtenir le soutien, notamment financier, dont ils ont besoin pour poursuivre la répression contre la population civile, par l’intermédiaire d’autres personnes occupant soit des fonctions de direction dans des institutions de l’État syrien (53), soit une position économique importante au sein de cet État. Par conséquent, le Conseil pouvait légitimement considérer que l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de la catégorie des personnes et des entités qui bénéficient des politiques menées par le régime de l’État tiers en cause et qui, pour cette raison, sont liées à ce régime, était de nature à contribuer à exercer une pression sur ledit régime susceptible de mettre fin à, ou d’atténuer, la répression contre la population civile (54) . Le choix fait par le Conseil d’étendre le champ d’application personnel des mesures restrictives aux personnes qui bénéficient des politiques menées par le régime est donc conforme à la fonction première des mesures destinées à faire cesser les violences commises par un régime autoritaire tel que le régime syrien, à savoir une fonction de coercition dans le but d’obtenir la modification d’une situation ou d’un comportement (55) .

158. La définition par le Conseil des règles générales relatives aux critères d’inscription repose nécessairement sur des présomptions, dans la mesure où ces règles sont fixées à partir d’une évaluation du lien qu’entretient une catégorie de personnes avec le régime et donc sur l’influence que pourraient avoir les mesures restrictives sur la poursuite de l’objectif fixé par le Conseil, en l’occurrence la fin de la répression sanglante contre la population civile en Syrie. Autrement dit, au stade de la fixation d’un critère d’inscription, le Conseil se fonde nécessairement sur une évaluation de l’effet potentiel que pourrait avoir la désignation de personnes entrant dans une certaine catégorie sur l’objectif poursuivi.

159. Dans le cas qui nous occupe, le Conseil a considéré, lors de la fixation du critère général d’inscription, que le fait de bénéficier des politiques menées par le régime syrien impliquait l’existence d’une relation de proximité avec ce régime. En visant cette catégorie de personnes, les mesures de gel des fonds pourraient donc contribuer à affaiblir ledit régime. En se livrant à une telle appréciation, le Conseil est resté dans les limites de la large marge d’appréciation qu’il convient, comme nous l’avons vu, de lui reconnaître.

2. L’application du critère général d’inscription

160. L’adoption de mesures restrictives à l’encontre de M. Anbouba témoigne de la volonté du Conseil de faire entrer certains dirigeants d’entreprises dans la catégorie des personnes bénéficiant des politiques menées par le régime syrien ou soutenant ce dernier.

161. À cet égard, le Conseil a considéré, comme cela ressort du point 32 de l’arrêt T‑563/11 et du point 42 de l’arrêt T‑592/11, que les dirigeants des principales entreprises syriennes pouvaient être qualifiés de personnes associées au régime syrien, les activités commerciales desdites entreprises ne pouvant prospérer à moins de bénéficier des faveurs dudit régime et de lui apporter en retour un certain soutien.

162. Le Conseil a donc établi une relation entre les deux composantes du critère d’inscription qui vise, rappelons-le, à titre alternatif, la catégorie des personnes bénéficiant des politiques menées par le régime ou soutenant celui-ci. Le Conseil a ainsi considéré qu’une personne ne pouvait pas bénéficier de telles politiques sans soutenir ce régime.

163. Cette relation entre les deux composantes du critère d’inscription s’est traduite dans les motifs initiaux de l’inscription de M. Anbouba, à savoir «Président [de la SAPCO]. Apporte un soutien économique au régime syrien». Les motifs figurant à l’annexe II du règlement n o  36/2012 sont également, pour partie, fondés sur l’existence d’un soutien financier de M. Anbouba au régime syrien.

164. Ainsi qu’il ressort de ces motifs, le Conseil s’est appuyé sur la position économique de M. Anbouba pour en déduire qu’il soutenait économiquement le régime de Bachar Al-Assad.

165. Le débat devant le Tribunal a permis au Conseil d’étayer lesdits motifs au moyen d’un certain nombre d’éléments factuels démontrant, d’une part, la position économique importante de M. Anbouba, d’autre part, l’existence de liens d’affaires entre ce dernier et une personne proche de Bachar Al-Assad et, enfin, l’exercice par M. Anbouba de fonctions d’administration dans le secteur économique. Ces éléments factuels figurent au point 33 de l’arrêt T‑563/11 et au point 43 de l’arrêt T‑592/11.

166. Le Tribunal s’est également fondé, au point 38 de l’arrêt T‑563/11 et au point 48 de l’arrêt T‑592/11, sur la nature autoritaire du régime syrien et sur le contrôle étroit exercé par l’État sur l’économie syrienne pour juger que le Conseil pouvait considérer, à juste titre, comme constituant une règle d’expérience commune le fait que les activités de l’un des principaux hommes d’affaires en Syrie, actif dans de nombreux secteurs, n’avaient pas pu prospérer à moins que celui-ci n’ait bénéficié des faveurs dudit régime et lui apporte en retour un certain soutien.

167. C’est sur la base de ce socle factuel que le Tribunal a estimé que le Conseil avait fait application à M. Anbouba d’une présomption de soutien au régime syrien.

168. Si nous sommes d’accord avec la conclusion à laquelle est parvenu, en substance, le Tribunal, à savoir que le Conseil a satisfait à la charge de la preuve lui incombant, nous ne sommes, en revanche, pas convaincu que, une fois l’identification du critère d’inscription effectuée, l’examen relatif à l’application d’un tel critère doive se faire en ayant recours à la notion de présomption et en appréciant à chaque fois si cette présomption repose sur une base légale, si elle est proportionnée et si elle est réfragable.

169. Les présentes affaires démontrent, à notre avis, qu’un raisonnement entièrement articulé autour de la notion de présomption complique l’analyse plutôt qu’elle ne la simplifie. De plus, le recours à cette notion aboutit à la situation paradoxale que plus la présomption repose sur une base factuelle solide, plus elle encourra le reproche d’être irréfragable et donc contestable dans son principe.

170. Dès lors, il nous paraît à la fois plus clair et plus en phase avec la jurisprudence de la Cour de vérifier, plus simplement, si, au regard du critère d’inscription figurant dans les règles générales relatives aux mesures restrictives en cause, le Conseil s’est acquitté ou non de la charge de la preuve qui lui incombe. Le juge de l’Union doit, pour ce faire, déterminer si, au vu des éléments d’information et de preuve qui ont été produits par le Conseil, il peut considérer que les motifs sur lesquels l’inscription d’une personne est fondée sont suffisamment étayés. Plus précisément, dans une situation telle que celle en cause dans les présents pourvois, le juge de l’Union doit vérifier si la mesure en cause a été adoptée sur la base d’éléments précis et concrets permettant d’établir que la personne inscrite tire profit des politiques économiques conduites par les dirigeants de l’État tiers ou soutient ces derniers.

171. Bien entendu, le juge de l’Union, s’il veut exercer un contrôle réaliste, doit pleinement tenir compte du contexte dans lequel s’inscrivent les mesures restrictives en cause. Comme nous l’expliquerons plus en détail dans les développements qui suivent, il est clair que, lorsque de telles mesures visent un État tiers en guerre civile et dirigé par un régime autoritaire, l’urgence de la situation et les difficultés d’investigation ne permettent pas au juge de l’Union d’exiger un degré élevé de preuve. Le juge de l’Union devrait alors considérer que, à partir du moment où le Conseil lui présente un faisceau d’indices précis, concrets et concordants au soutien des motifs de l’inscription, il satisfait à la charge de la preuve qui lui incombe.

172. Notre réticence quant à l’utilisation de la notion de présomption au stade de l’application du critère d’inscription nous conduit à considérer que le Tribunal a commis une erreur de droit en articulant toute sa démonstration autour de cette notion. Cela étant, il convient de rappeler qu’il résulte d’une jurisprudence constante que, si les motifs d’un arrêt du Tribunal révèlent une violation du droit de l’Union, mais que son dispositif apparaît fondé pour d’autres motifs de droit, le pourvoi doit être rejeté (56) . Or, dans la mesure où nous sommes d’accord avec la conclusion à laquelle est parvenu, en substance, le Tribunal, à savoir que le Conseil a satisfait à la charge de la preuve lui incombant, il n’y a pas lieu d’accueillir les présents pourvois.

173. Conformément à la conclusion à laquelle est parvenu le Tribunal, les motifs sur lesquels l’inscription de M. Anbouba est fondée peuvent être considérés comme étant suffisamment étayés.

174. En effet, dans la mesure où il était en présence à la fois de faits notoires et de faits non contestés, le Tribunal a pu, à bon droit, considérer que la charge de la preuve incombant au Conseil était satisfaite.

175. Par ailleurs, compte tenu des caractéristiques propres au régime syrien ainsi que du contexte de guerre civile en Syrie, il ne saurait être reproché au Tribunal de ne pas avoir exigé du Conseil qu’il lui apporte des éléments de preuve supplémentaires.

a) Les faits notoires

176. C’est à bon droit que le Tribunal a, au point 38 de l’arrêt T‑563/11 et au point 48 de l’arrêt T‑592/11, mis l’accent sur les liens d’interdépendance entre les milieux d’affaires en Syrie et le régime de Bachar Al-Assad.

177. L’existence de tels liens constitue, selon le Tribunal, une «règle d’expérience commune». Il s’agit, autrement dit, d’un fait notoire.

178. Il convient, à cet égard, de préciser que la jurisprudence exclut, en principe, le contrôle en pourvoi de la question de savoir si un fait est notoire ou pas, sauf en cas de dénaturation des faits (57) .

179. En tout état de cause, nous relevons que l’existence de liens d’interdépendance entre les milieux d’affaires en Syrie et le régime de Bachar Al-Assad ressort de nombreuses études relatives à ce régime.

180. Il est ainsi notoire que, sous ce régime autoritaire, dominé par le leadership baathiste, l’accès aux ressources politiques et économiques s’effectue par l’intermédiaire d’institutions telles que le parti Baath, les services de renseignement et l’armée.

181. Depuis les années 90, le régime a su s’attirer le soutien de la bourgeoisie d’affaires, notamment dans le cadre des consultations électorales, en lui permettant d’accéder à l’Assemblée (58) . Ce groupe social s’est alors trouvé en position de défendre des intérêts de secteur dans le cadre du régime (59) . Ce système de collusion d’intérêts a donné et continue de donner au régime baathiste son assise (60) .

182. Par ailleurs, le processus de libéralisation de l’économie entamé par Bachar Al-Assad ne doit pas occulter la persistance d’un contrôle étroit de l’État sur l’économie syrienne (61) . Celle-ci étant restée fortement régulée et subventionnée, ce processus de libéralisation se caractérise par son caractère sélectif (62) . Ce phénomène a contribué à l’émergence d’une «bourgeoisie d’affaire clientélisée» (63), le régime étant marqué par la corruption de l’administration (64) .

183. Des liens étroits, souvent avec des ramifications familiales, ont ainsi été tissés entre des hommes d’affaires soucieux de tirer profit de l’ouverture de l’économie syrienne et le régime au pouvoir. Alors que le régime s’assurait ainsi le soutien politique et financier des dirigeants d’entreprises, ces derniers pouvaient user de leurs connexions avec le régime pour faire prospérer leurs activités commerciales (65) . C’est en cela qu’une relation d’interdépendance s’est développée entre les milieux d’affaires et le régime en place (66) . L’élite commerciale est ainsi devenue un support essentiel de ce régime (67) .

184. Au vu de ces éléments, le Tribunal a pu, à bon droit, s’appuyer sur les liens d’interdépendance entre les milieux d’affaires et le régime syrien pour considérer que cela constituait un indice sérieux du soutien apporté par un dirigeant d’entreprises tel que M. Anbouba au régime syrien.

185. Le Tribunal a, par ailleurs, fondé son raisonnement sur une série de faits non contestés.

b) Les faits non contestés

186. M. Anbouba est président de la SAPCO, société majeure de l’industrie agroalimentaire (la SAPCO détenant une part de marché de 60 % dans le secteur de l’huile de soja).

187. M. Anbouba est, en outre, dirigeant de plusieurs sociétés actives dans le domaine de l’immobilier et de l’éducation.

188. Il n’est pas contesté, et ces éléments factuels en attestent, que M. Anbouba a vu ses affaires prospérer concomitamment au processus d’ouverture de l’économie syrienne entamé par le régime de Bachar Al-Assad. Pour cette seule raison, il est d’ores et déjà établi que la désignation de M. Anbouba correspond à la première composante du critère d’inscription, qui vise la catégorie des personnes bénéficiant des politiques menées par le régime syrien.

189. M. Anbouba fait valoir que l’application de mesures restrictives à des personnes physiques en raison de leur situation économique et sociale et indépendamment de leur comportement personnel se heurterait à la jurisprudence de la Cour relative aux mesures de gel des fonds. Nous ne le pensons pas. La base factuelle suffisamment solide que la Cour exige depuis l’arrêt Commission e.a./Kadi (EU:C:2013:518) dépend étroitement du critère d’inscription figurant dans les règles générales relatives aux mesures restrictives en cause, pour la fixation duquel le Conseil bénéficie, comme nous l’avons vu, d’une large marge d’appréciation. Or, en l’espèce, le bénéfice tiré des politiques menées par le régime peut tout à fait être démontré par le Conseil en faisant état, au moyen d’éléments objectifs tels que les activités commerciales développées par M. Anbouba, de la position économique acquise par ce dernier sous le régime actuel, sans la démonstration d’un comportement personnel particulier.

190. En outre, d’autres faits non contestés attestent que M. Anbouba entre bien dans le champ d’application personnel de l’autre composante du critère d’inscription, à savoir celle qui vise les personnes soutenant le régime syrien.

191. En effet, M. Anbouba a admis avoir été, de l’année 2007 au mois d’avril 2011, l’un des neuf membres du conseil d’administration de Cham Holding, la société privée la plus importante en Syrie et qui était coprésidée par le cousin du président syrien Bachar Al-Assad, Rami Makhlouf.

192. Ce dernier est un homme d’affaires important en Syrie, comme son frère Ehab. Tous deux contrôlent plusieurs entreprises importantes. La Commission indique dans ses mémoires en intervention, sans que cela ait été contesté, que certaines de ces entreprises opèrent sur la base des licences octroyées après un processus d’ouverture de l’économie à des entreprises privées souvent contrôlées par des membres de la famille du président syrien.

193. Comme le souligne la Commission, sans que cela ait fait l’objet d’une contestation par M. Anbouba, Cham Holding, qui est active dans de nombreux secteurs économiques par l’intermédiaire de ses filiales, est liée au régime de Bachar Al-Assad, notamment en raison du lien familial qui unit ce dernier et Rami Makhlouf. M. Anbouba indique lui-même que cette entité est «connue pour être proche de l’appareil étatique syrien» (68) .

194. Dès lors, la participation de M. Anbouba au conseil d’administration de Cham Holding jusqu’à une période récente démontre, en soi, l’existence d’une relation de proximité entre lui-même et le régime de Bachar Al-Assad.

195. Compte tenu de cet élément factuel non contesté, le Tribunal a pu légitimement déduire de l’existence de liens d’affaires entre M. Anbouba et un proche de Bachar Al-Assad que, eu égard à la nature autoritaire du régime et au contrôle étroit exercé par l’État sur l’économie syrienne, M. Anbouba n’avait pas pu développer ses activités commerciales sans bénéficier de l’appui du régime et sans lui apporter en retour un certain soutien.

196. Le Tribunal a, d’ailleurs, tenu compte dans son appréciation du fait que la position de M. Anbouba n’était pas assimilable à celle de n’importe quel dirigeant d’entreprises. Autrement dit, la position de M. Anbouba se singularise par la diversité des secteurs économiques dans lesquels il a prospéré ainsi que par les liens d’affaires qu’il a entretenus avec un homme d’affaires proche du pouvoir en place.

197. La position occupée par M. Anbouba se caractérise également par le fait qu’il a admis avoir été le secrétaire général de la chambre de commerce et d’industrie de la ville de Homs de l’année 2004 à l’année 2008. Cet élément factuel non contesté constitue un indice sérieux de l’influence exercée par M. Anbouba dans le cadre du processus d’ouverture sélective de l’économie syrienne. Compte tenu de la nature du régime syrien et de la façon dont le processus de libéralisation de l’économie a été mené, il est raisonnable de considérer que M. Anbouba a pu tirer avantage de la fonction ainsi occupée pour développer ses affaires et que, en tout état de cause, cette fonction témoigne d’un lien certain avec le régime de Bachar Al-Assad (69) .

198. Enfin, il importe de préciser que M. Anbouba n’a contesté ni la nature autoritaire du régime syrien ni le contrôle étroit exercé par l’État sur l’économie syrienne. La nature «totalitaire» du régime est, d’ailleurs, acceptée par lui-même dans ses écrits (70) .

c) L’existence d’une base factuelle suffisamment solide

199. Eu égard à l’ensemble de faits notoires et de faits non contestés, le Tribunal a pu, à bon droit, considérer que le Conseil avait satisfait à la charge de la preuve lui incombant.

200. En effet, ces éléments factuels étaient par eux-mêmes de nature à démontrer que M. Anbouba entrait bien dans le champ d’application personnel du critère d’inscription, à savoir les personnes bénéficiant des politiques menées par le régime ou soutenant celui-ci.

201. Par ailleurs, lesdits éléments factuels constituaient des indices précis, concrets et concordants de l’existence d’un soutien apporté par M. Anbouba au régime de Bachar Al-Assad. Les motifs ayant fondé l’inscription de M. Anbouba sur la liste de gel des fonds pouvaient donc être considérés comme étant suffisamment étayés.

202. En présence d’une telle base factuelle suffisamment solide, le Tribunal n’était donc nullement tenu d’exiger du Conseil qu’il lui fournisse des éléments de preuve ou d’information supplémentaires.

203. Compte tenu de la situation en Syrie, il serait inapproprié d’alourdir la charge de la preuve incombant au Conseil et d’exiger de lui qu’il aille au-delà des éléments objectifs dont il a fait état devant le Tribunal.

204. Afin d’adapter le degré de preuve pouvant être exigé du Conseil à la réalité de la situation en Syrie, le juge de l’Union doit tenir compte de ce que la République arabe syrienne est en guerre civile, ce qui rend difficile l’accès aux preuves et à des éléments d’information objectifs. Ce contexte de guerre est encore accru par la férocité actuelle du groupe terroriste dénommé «État islamique». M. Anbouba admet lui-même que la situation actuelle en Syrie complique l’administration de la preuve qui incombe au Conseil (71) .

205. Par ailleurs, le régime ciblé par les mesures restrictives est toujours en place, ce qui exclut toute collaboration de l’Union avec les autorités nationales pour obtenir les informations ou les preuves nécessaires.

206. Enfin, la répression envers la population civile rend, en pratique, difficile, voire impossible, le recueil de témoignages d’opposants présents ou ayant de la famille en Syrie et acceptant d’être identifiés. Les difficultés d’investigation qui s’ensuivent et le danger auquel s’exposent ceux qui livrent des renseignements font obstacle à ce que des preuves précises de comportements personnels de soutien au régime soient apportées.

207. La situation de guerre qui prévaut en Syrie devrait donc conduire à une modulation de la charge de la preuve incombant au Conseil. Interrogé à ce sujet lors de l’audience, M. Anbouba a, d’ailleurs, admis que la situation de guerre en Syrie rendait plus difficile l’administration de la preuve et nécessitait donc un aménagement des principes gouvernant cette dernière.

208. Compte tenu de cette situation, le Conseil satisfait à la charge de la preuve qui lui incombe s’il fait état devant le juge de l’Union d’un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants permettant d’établir l’existence d’un lien suffisant entre la personne sujette à une mesure de gel de ses fonds et le régime combattu.

209. La situation précédemment décrite appelle ainsi un équilibre dans la charge de la preuve. S’il n’est, certes, pas conforme à la jurisprudence de la Cour issue de l’arrêt Commission e.a./Kadi (EU:C:2013:518) de faire peser sur la personne inscrite sur une liste de gel des fonds la charge d’apporter la preuve négative de l’absence de bien-fondé des motifs d’inscription, cette jurisprudence ne devrait pas non plus, en exigeant un degré de preuve trop élevé, faire peser sur le Conseil la charge d’apporter une preuve impossible.

210. Eu égard à ces considérations, nous estimons, comme le Tribunal l’a jugé, en substance, dans les arrêts attaqués, que le Conseil a satisfait à la charge de la preuve qui lui incombait en vertu de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, tel qu’interprété par la Cour dans son arrêt Commission e.a./Kadi (EU:C:2013:518), en étayant les motifs de la désignation de M. Anbouba par un ensemble de faits notoires et de faits non contestés démontrant à suffisance l’existence d’un lien entre ce dernier et le régime syrien.

211. Le Tribunal a, par ailleurs, respecté la possibilité qui doit être offerte à toute personne inscrite qui conteste une mesure de gel de ses fonds d’apporter la preuve que, malgré l’existence d’indices sérieux la faisant entrer dans la catégorie des personnes et des entités visées par le critère d’inscription, elle n’est cependant pas liée au régime de l’État tiers en cause.

212. Les développements contenus dans les arrêts attaqués témoignent à plusieurs reprises de la prise en compte par le Tribunal de cette possibilité pour M. Anbouba d’apporter la pre uve contraire, à savoir qu’il ne bénéficie pas des politiques menées par le régime ou qu’il ne soutient pas ce dernier. Nous nous référons, à cet égard, aux points 41 et 42 de l’arrêt T‑563/11 et aux points 51 et 52 de l’arrêt T‑592/11, ainsi qu’aux points 45 à 60 de l’arrêt T‑563/11 et aux points 63 à 76 de l’arrêt T‑592/11, où le Tribunal a mis l’accent sur la possibilité pour M. Anbouba d’apporter des preuves contraires, puis a examiné concrètement les éléments fournis par celui-ci, qui étaient destinés à démontrer que le Conseil avait commis une erreur d’appréciation en considérant que, en sa qualité d’homme d’affaires important en Syrie, il apportait un soutien économique au régime syrien.

213. Contrairement à ce qu’allègue M. Anbouba, le Tribunal a donc bien respecté le principe du contradictoire et les droits de la défense de celui-ci.

214. Par ses pourvois, M. Anbouba n’a pas véritablement cherché à remettre en cause l’appréciation des preuves contraires à laquelle le Tribunal s’est livré dans le cadre de son examen des éléments fournis par lui pour contester l’existence d’un soutien de sa part au régime syrien. En tout état de cause, dès lors que, comme nous l’avons vu, le Conseil a satisfait à la charge de la preuve qui lui incombe en matière de mesures restrictives, il n’entre pas dans les compétences de la Cour au stade du pourvoi d’examiner la manière dont le Tribunal a apprécié les preuves contraires qui lui ont été soumises par M. Anbouba (72) .

VIII – Conclusion

215. Eu égard aux considérations qui précèdent, nous proposons à la Cour:

– de rejeter les pourvois et

– de condamner M. Anbouba aux dépens.

(1) .

(2)  – Voir Beaucillon, C., Les mesures restrictives de l’Union européenne , Bruylant, Bruxelles, 2014, p. 445.

(3)  – T‑563/11, EU:T:2013:429, ci-après l’«arrêt T‑563/11», et T‑592/11, EU:T:2013:427, ci-après l’«arrêt T‑592/11» (ci-après, ensemble, les «arrêts attaqués»).

(4)  – Ci-après la «SAPCO».

(5)  – Nous notons, cependant, que les visas du règlement n o  442/2011 mentionnent l’article 215 TFUE sans toutefois préciser si les mesures adoptées relèvent du paragraphe 1 ou du paragraphe 2 de celui-ci.

(6)  – Le Tribunal s’est notamment référé à l’arrêt Akzo Nobel e.a./Commission (C‑97/08 P, EU:C:2009:536, points 60 à 63).

(7)  – Le Tribunal s’est référé à l’arrêt Elf Aquitaine/Commission (C‑521/09 P, EU:C:2011:620, point 62 et jurisprudence citée).

(8)  – Le Tribunal s’est référé aux arrêts Salabiaku c. France (7 octobre 1988, série A n o  141‑A, § 28) et Klouvi c. France (n o  30754/03, § 41).

(9)  – C‑376/10 P, EU:C:2012:138.

(10)  – C‑376/10 P, EU:C:2011:786.

(11)  – Le Conseil se réfère, à titre d’exemple, à l’ouvrage de Haddad, B., Business Networks in Syria – The political economy of authoritarian resilience , Stanford University Press, 2012.

(12)  – Elle se réfère à la définition de Cabrillac, R., Dictionnaire du vocabulaire juridique , 2 e  éd., Litec, Paris, 2004, p. 301.

(13)  – C‑204/00 P, C‑205/00 P, C‑211/00 P, C‑213/00 P, C‑217/00 P et C‑219/00 P, EU:C:2004:6.

(14)  – La Commission cite, notamment, l’arrêt Öcalan c. Turquie [GC], n o  46221/99, § 180, CEDH 2005-IV.

(15)  – Arrêt Salabiaku c. France, précité, § 28.

(16)  – Arrêt Spector Photo Group et Van Raemdonck (C‑45/08, EU:C:2009:806, points 43 et 44).

(17)  – Voir arrêt Sedghi et Azizi/Conseil (T‑66/12, EU:T:2014:347, point 69).

(18)  – Voir arrêt Alchaar/Conseil (T‑203/12, EU:T:2014:602, point 155).

(19)  – C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518.

(20)  – C‑348/12 P, EU:C:2013:776.

(21)  – Points 89 et 105.

(22)  – Voir, notamment, arrêt Bertelsmann et Sony Corporation of America/Impala (C‑413/06 P, EU:C:2008:392, point 44 et jurisprudence citée).

(23)  – Arrêt Hüls/Commission (C‑199/92 P, EU:C:1999:358, point 65).

(24)  – Arrêt BAI et Commission/Bayer (C‑2/01 P et C‑3/01 P, EU:C:2004:2, point 61).

(25)  – C‑402/05 P et C‑415/05 P, EU:C:2008:461.

(26)  – Arrêt Tay Za/Conseil (EU:C:2012:138, point 53 et jurisprudence citée).

(27)  – Italique ajouté par nous.

(28)  – Règlement du Conseil du 25 février 2008 renouvelant et renforçant les mesures restrictives instituées à l’encontre de la Birmanie/du Myanmar et abrogeant le règlement (CE) n o  817/2006 (JO L 66, p. 1).

(29)  – Position commune du Conseil du 27 avril 2006 renouvelant les mesures restrictives à l’encontre de la Birmanie/du Myanmar (JO L 116, p. 77).

(30)  – Position commune du Conseil du 19 novembre 2007 modifiant la position commune 2006/318 (JO L 308, p. 1).

(31)  – Italique ajouté par nous.

(32)  – Voir Beaucillon, C., op. cit., p. 131.

(33)  – Arrêt Tay Za/Conseil (EU:C:2012:138, point 55).

(34)  – Voir Simon, D., «Mesures restrictives (Myanmar)», Revue Europe , mai 2012, n o  5, comm. 174, qui relève que «la solution de la Cour [...] a [...] pour effet de limiter la catégorie des personnes susceptibles d’être visées en imposant une certaine intensité du lien».

(35)  – Au point 39 de ses conclusions dans l’affaire Tay Za/Conseil (EU:C:2011:786), l’avocat général Mengozzi a décrit de la façon suivante le lien unissant le père du requérant, qui était dirigeant d’entreprises, et le régime de l’État tiers en cause:

«En l’occurrence, il apparaît déjà, selon une appréciation du Conseil qu’il n’y a pas lieu de remettre en cause, que le père du requérant est associé au régime birman sans appartenir, pour autant, au gouvernement même. Sa qualité de ‘personne associée’ au régime birman découle de bénéfices réels retirés des politiques économiques birmanes par les deux entreprises qu’il dirige, et c’est en ce sens que le lien l’unissant audit régime apparaît suffisant. Cela étant, toujours en ce qui concerne le père du requérant, ce lien, bien que suffisant, est avant tout indirect, puisqu’il est décrit comme le bénéficiaire passif de politiques économiques dont il n’est pas le décideur.»

(36)  – Point 119. Italique ajouté par nous.

(37)  – Points 121 à 123.

(38)  – Point 136. Italique ajouté par nous.

(39)  – Italique ajouté par nous.

(40)  – Points 76 et 77.

(41)  – Point 80.

(42)  – Point 112.

(43)  – Point 84.

(44)  – Point 85.

(45)  – Idem.

(46)  – Point 88.

(47)  – Point 89.

(48)  – Point 90.

(49)  – Italique ajouté par nous.

(50)  – Italique ajouté par nous.

(51)  – Voir article 1 er , point 3, de la décision 2011/522. Italique ajouté par nous.

(52)  – Voir article 1 er , point 3, du règlement n o  878/2011. Italique ajouté par nous.

(53)  – Voir, à cet égard, arrêt Mayaleh/Conseil (T‑307/12 et T‑408/13, EU:T:2014:926, point 147).

(54)  – Ibidem (point 148).

(55)  – Voir Beaucillon, C., op. cit., p. 485.

(56)  – Voir, notamment, arrêt Artegodan/Commission (C‑221/10 P, EU:C:2012:216, point 94 et jurisprudence citée).

(57)  – Selon la Cour, «il convient [...] de relever, en premier lieu, qu’il incombe en principe à la personne qui allègue des faits au soutien d’une demande d’apporter la preuve de leur réalité (voir, en ce sens, arrêt [...] Brunnhofer, C‑381/99, [EU:C:2001:358], point 52) et que, s’il est dérogé à cette règle lorsque l’allégation porte sur des faits notoires, la constatation du caractère notoire ou non des faits concernés appartient à la juridiction de première instance et constitue une appréciation de nature factuelle qui, sauf cas de dénaturation, échappe au contrôle exercé dans le cadre d’un pourvoi (voir, en ce sens, arrêt [...] OHMI/Celltech, C‑273/05 P, [EU:C:2007:224], points 39 et 45 ainsi que jurisprudence citée)» [voir ordonnance Provincia di Ascoli Piceno et Comune di Monte Urano/Apache Footwear e.a., C‑464/07 P(I), EU:C:2008:49, point 9].

(58)  – Voir Belhadj, S., La Syrie de Bashar al-Asad – Anatomie d’un régime autoritaire, Belin, Paris, 2013, p. 267 et 268.

(59)  – Ibidem (p. 270 et 271).

(60)  – Ibidem (p. 272).

(61)  – Ibidem. L’auteur indique que, malgré la volonté affirmée de passer d’une économie dirigée et protégée vers une économie de marché et ouverte, «la plupart des hauts responsables [baathistes] et, au premier chef, Bashar [Al-Assad] ne cachent pas vouloir garder la totale maîtrise du processus de transformation des structures de l’économie nationale» (p. 297 et 298).

(62)  – Voir Friberg Lyme, R., «Sanctioning Assad’s Syria – Mapping the economic, socioeconomic and political repercussions of the international sanctions imposed on Syria since March 2011», Danish Institute for International Studies Report 2012:13. L’auteur indique respectivement p. 15 et 18:

«The liberalisation process proved, however, selective and partial as the economy overall remained highly regulated and subsidized. [...] the economy remained restrained by a bloated, corrupt and ineffective public administration.»

«The process [of liberalisation] largely benefitted the educated, urban, upper middle class and saw the rise of economic oligarchs who extracted considerable wealth from virtual monopolies on newly opened business opportunities, particularly in sectors like oil, telecoms, pharmaceuticals and chemicals, electronics, agro-business and tourism, while midrange investment activity was lacking.»

(63)  – Voir Belhadj, S., op. cit., p. 344.

(64)  – Voir «Syria Under Bashar (II): Domestic Policy Challenges», International Crisis Group, Middle East Report n o  24, 11 February 2004, respectivement p. 3 et 11:

«Syria developed a quasi-corporatist system, built around patron-client relations and a widespread network of economic allegiance and corruption.»

«[T]he economic and the political are interlinked: deep public sector reforms would undermine patronage and clientelism. [...] Likewise, widespread corruption is a central feature of the system, affecting all administrative levels and regulating entire facets of the economy. [...] [P]rivate sector businessmen who took advantage of economic liberalisation have become major beneficiaries of corruption. As a result, they have monopolised most of the new lucrative markets.»

(65)  – Voir Friberg Lyme, R., op. cit. L’auteur indique respectivement p. 20 et 21:

«[A]n organic alliance between elites within military, security and civilian state institutions and an emerging class of private sector entrepreneurs became a vital pillar of regime power. The selective liberalisation process provided instruments for co-opting and re-organising networks of allegiance and patronage as the resources generated by the economic openings and economic regulation were, first and foremost, exploited by regime elites and their close allies [...]. The new organic networks often involved close kinship between security, military and state officials and a new generation of business entrepreneurs.»

«The lion’s share of the new opportunities and market openings went to a small group of individuals associated with the regime, either through family ties and/or through public governmental positions in the military and security services. The new entrepreneurial elite received licensing and concessions within the public services and could delegate management to gain the most profitable projects, benefit from tailor-made regulation, and enjoy privileged access to foreign investments and expatriate Syrian and Arab business communities [...]. They were therefore the ones largely benefitting from the opportunities arising from liberalisation, especially within sectors such as energy (oil and gas), telecoms and IT, duty free zones, pharmaceuticals, chemicals, electronics, agro-business, tourism and car dealerships. [...] These people therefore owed their fortunes (or large parts thereof) to their organic relationship with regime insiders. By gathering patronage networks [...], the regime not only undercut any other collective action to rally private sector businesspeople against the regime, but by creating strategic openings to benefit its allies (and family members), the regime also assured themselves of allies through interdependence.»

(66)  – Ibidem. L’auteur mentionne p. 24:

«[T]he lucrative business openings, brought about by the liberalisation process, primarily benefitted an emerging entrepreneurial business class due to its organic and tightly knit (often family) ties to the inner core of the regime, creating a high degree of interdependence – and to some degree blurring of the distinction – between the two.»

(67)  – Ibidem. L’auteur indique à la note en bas de page 21:

«The new elites even challenged the Ba’ath traditionalists as they began seeking political representation. The party’s importance as a mobilising driver for the regime declined and was to some degree taken over by the new commercial elite. This was clearly demonstrated in the presidential referendum in 2007 where the business elite mobilised regime support, covering the costs of all meeting venues in the country. These networks have been highly active in organising and financing demonstrations and shabihas in favour of the regime during the uprising of 2011.»

(68)  – Voir p. 7 de ses mémoires en réponse aux mémoires en intervention de la Commission.

(69)  – Voir, à cet égard, Friberg Lyme, R., op. cit., qui indique à la note en bas de page 20:

«Membership of the chambers began in the 1980s where it became a de facto prerequisite for acquiring a commercial, industrial record and business licenses [...]. [...] [T]he chambers of commerce have always been tied to the regime and have played a limited role in representing the interests of the wider merchant class.»

(70)  – Voir point 33 de ses requêtes.

(71)  – Voir p. 3 de ses mémoires en réponse aux mémoires en intervention de la Commission.

(72)  – Arrêt Hüls/Commission (EU:C:1999:358, point 65).